Nous sommes au coeur de beaucoup de livres, entourés de livres accumulés, pesants, immaîtrisables dans leur masse. Leur demande d’attention nous cerne de tout côté. Pourtant, au milieu de tant de livres nos espérons toujours rencontrer par nous-mêmes le choc et l’évènement d’une voix qui comptera pour nous.
Les oeuvres verbales entrent en nous par leur phrasé autant que par leur sens, et il n'est pas étonnant, il n'est pas regrettable, que des expressions se détachent et survivent, des tournures ou des vers isolés. Qu'une phrase délectable reste, une formule flottante retenue pour elle-même, c'est ce que le vent effilocheur ôte à l'oubli.
Faire concurrence à l’état-civil, cette formule trop répétée de Balzac résume une première direction d’ambition. Le roman qui veut énoncer intégralement la totalité de l’existence, ou du moins le tableau complet de l’époque, sera touffu et inclusif avant tout. Dans son désir de tout embrasser et de tout engranger, il accueillera, il développera, et surtout il se commentera en permanence par des gloses de tout ordre. Je pense ici à la façon dont les grands romans du XIXe siècle entassent récits et descriptions dans l’étoffe illimitée des considérations, des informations, des envolées pensives, des interventions didactiques, des attendrissements sentimentaux, bref de tout l’éventail possible des gloses. Je pense en particulier aux arborescences infatigables du roman-feuilleton, en notant que c’est sur Alexandre Dumas et sur Eugène Sue, plutôt que sur Michelet, Balzac ou Hugo, que Umberto Eco centre son analyse de ce que signifie « beaucoup ».
On traverse des volumes opaques, des chapitres sans fenêtres, des successions de pages aveugles et pourtant prenantes, et le temps vibre immobile, figé dans le galop bourdonnant de la lecture que rien ne peut décourager. Un enchantement obstiné s’empare de tout, se perd dans tout. L’après-midi s’éteint, le volume s’amincit à droite, et on colle à cette avancée consciencieuse qui abrutit et qui exalte
À première vue, l’objectif rhétorique de la communication paraît clair : on veut gagner et garder l’attention et si possible entraîner l’adhésion – l’une des multiples sortes d’adhésion. Mais les moyens sont divers, l’effet qu’on veut obtenir est complexe, et malgré tant d’efforts l’effet n’est maîtrisé par personne. Tout se joue ici à l’interface, une interface de la communication qui est la scène du sens et de l’effet.
C’est là, entre le saturé et le lacunaire, que se pose la question de la densité. Appelons ici densité de l’énoncé sa charge ou son poids : ceci est plus compact et plus lourd et ceci l’est moins. Cette variable toujours présente nous renvoie à l’alchimie essentielle par laquelle le quantitatif (plus, moins) devient le qualitatif (l’effet). Si l’on se tient en ce point et qu’on regarde autour de soi, le panorama qu’on découvre devient immense.
Le ressort général de l’histoire, , le jeu des forces et des masses, n’est pas intentionnel, et c’est tout ce qu’on peut en dire. À l’horizon, pas de savoir possible.
"Ce qui est vraiment étrange, c'est qu'un projet aboutisse, car rien n'est plus improbable qu'une naissance, et on ne s'en étonne jamais assez" (p. 157)
JS analyse la notion des préfiguration comme catégorie permettant d'interroger l'existence des œuvres culturelles dans le temp
"La pensée n'a une histoire que parce que la nouveauté n'est pas toujours rejetée" (p. 123)