Oui, si l'opium nous fait clairvoyants et nous révèle les mystères, en récompense il arrive un moment où la sainte drogue, en qui tout le bonheur est contenu, sait nous rendre indifférents à tout ce qui peut nous faire du mal, que ce mal vienne de la terre ou de l'enfer.
Je fumais, je fumais encore, et le saint opium, quand mes mucles étaient morts et mes nerfs apaisés me restituait la joie pleine et sûre ; et les heures coulaient lentement, heures douces, heures bénies, rythmées par le pouls d'une horloge de Hong-Kong, dont le balancier me comptait des siècles de solennelle béatitude
Mon rêve flottait dans le bleu, dans l'éther infini où le temps et l'espace ne sont plus.
J'ai fumé plus de vingt pipes ; maintenant je reste étendu, immobile, sans parler ; pour un mot, pour un geste, il me faudrait à cette heure une incroyable tension des muscles, un surhumain effort de volonté. Je ne dors pas cependant ; mais ma pensée, longtemps vigilante, s'assoupit ; ou plutôt, on dirait qu'elle s'évapore en fumée, laissant mon crâne vide, léger, intérieurement illuminé d'incertaines visions heureuses. (p. 137)
C'est un triste poste que Deo-Lang ; mais, moi, je ne suis pas triste: j'ai l'opium.