La philosophie du quotidien entre à la Bibliothèque avec un nouveau cycle de conférences dont la première édition est consacrée au thème du corps, décliné dans tous ses états.
Par Julia Beauquel, docteure en philosophie, chercheuse associée aux Archives Henri-Poincaré - Philosophie et recherches sur les sciences et les technologies
En savoir plus sur ce cycle : https://www.bnf.fr/fr/agenda/la-philosophie-du-quotidien
Danser, n’est-ce pas une excellente manière de goûter l’instant, de célébrer purement et simplement notre présence au monde ? Carpe diem !
Entre autres figures décisives, Pina Bausch a contribué par le double genre de la danse-théâtre, à élargir l’horizon chorégraphique tout en libérant la danse de son caractère lisse, aseptisé et quelque peu ennuyeux ; dans les spectacles très vivants et souvent perçus comme virulents que l’artiste allemande a su produire, les interprètes frappent autant par leur virtuosité de danseurs que par la personnalité affirmée et la force de tempérament qui les approchent de véritables personnages théâtraux. Ce ne sont plus les membres anonymes d’un corps de ballet susceptibles d’être remplacés sans que rien n’y paraisse, mais des personnes accomplies nourrissant la création de leur singularité.
"En tant que vivante, la danse la plus puissamment énergique et expressive manifeste l'essence même de la vie et du souffle indispensable qui anime les êtres, analogues à celui du divin ou, si l'on préfère, du Qi primordial originaire de l'univers. Mais en tant que spectacle artistique, elle a aussi le mérite d'exprimer en gestes et en mouvements la complexité émotionnelle et sentimentale parfois silencieuse, parfois chaotique, contradictoire et ainsi limitée par les mots, de l'existence humaine."
"Par-delà les arts, les genres et les styles, les mouvements expressifs du corps humain, leur renouvellement permanent et leur caractère protéiforme ont le potentiel infini de porter et de transmettre avec une apparence de simplicité, d'aisance, voire de désinvolture, mais avec une subtilité réelle, les significations importantes qu'englobent le besoin de créer, le désir de s'épanouir, la volonté de se réaliser, la difficulté d'être libre, heureux et d'exister pour les autres et avec eux."
"La justesse et la précision des mouvements sont à la danse ce que la vérité et la clarté des assertions sont à la philosophie. [...] Dans un cas comme dans l'autre, des phrases sont construites, plus ou moins lisibles. Une signification en émerge, fait de mouvements ou de mots, de gestes et de concepts."
"A cet égard, les limites du langage et de la perception ordinaire nous enferment davantage qu'un lieu exigu. Et sans doute est-il plus facile de dire ce que l'espace n'est pas, plutôt que d'affirmer ce qu'il est, comme parler de Dieu consiste surtout à n'exprimer que ce qu'Il n'est pas."
"[...] l'éphémère de la danse est tout à fait compatible avec le plus grand des biens. Bien que celle-ci ne dure pas, elle permet de se sentir exister. Enfin, le danseur a un considérable atout qui l'apparente au sage : il se suffit à lui-même. En dansant, il s'affranchit non seulement de ce qui le fait souffrir, mais de toute chose extérieure."
"Le langage du corps apporte aux mots la légèreté de l'amusement mais aussi la délicatesse de l'attention à l'action commune. Le mouvement y transmet parfois des messages que la parole n'oserait prononcer."
Le désir de ne plus souffrir va de pair avec celui - exacerbé ensuite par le postmodernisme - de ne plus mentir, de ne plus créer d'illusion, de ne plus duper le spectateur.
"Cruel et violent phénomène de dysmorphie, que celui par lequel une personne ne sait plus ce qu'elle perçoit ni à quoi elle ressemble réellement."