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Lorsqu’elle apprit la mort de Christos, Rose n’hésita pas une seconde : il fallait que Polly et les garçons viennent à la maison. Gareth et elle avaient de la place pour les accueillir et Polly était sa meilleure amie depuis l’école primaire. C’était une évidence, ils devaient les rejoindre et laisser Rose prendre soin d’eux.
La nouvelle était tombée par téléphone le dernier jour de février. Anna et la petite Flossie dormaient. Rose et Gareth venaient d’allumer une bougie et d’ouvrir une bouteille de vin. Ils avaient rêvé d’un tel rituel du soir durant les deux ans et demi qu’ils avaient passés à rénover leur maison dans les collines du Wiltshire. Un mois tout juste après leur emménagement, le rêve était devenu une routine bien établie.
La sonnerie du téléphone retentit dans tout le rez-de-chaussée, perçant le silence rural qui les déstabilisait encore un peu. Gareth avait voulu une sonnerie nette et forte, comme celle qu’il avait connue enfant dans la campagne au nord de l’Etat de New York, afin qu’on l’entende où que l’on soit. Cela exprimait selon lui une intention consciente, le fait d’être là volontairement, et non par hasard. Rose ne voyait pas comment il en arrivait à cette conclusion, mais leur sonnerie n’en demeurait pas moins pratique, d’autant plus qu’ils ne captaient aucun réseau de téléphonie mobile dans cette maison perdue au beau milieu de nulle part.
Elle prit son verre de vin et alla répondre.
— Christos est mort, annonça Polly tout de go.
Rose dut s’asseoir près de la fenêtre. Le froid des dalles sous ses pieds s’insinua en elle.
— Quoi ? lâcha-t-elle, incrédule.
— Il s’est tué dans un accident de voiture. Il était ivre.
— Que se passe-t-il ? demanda Gareth.
Il approcha sa chaise et prit la main de Rose qui, sous le choc, avait du mal à respirer.
— J’avais six ans, commença Rose. Le même âge que toi, donc. J’habitais dans une grande maison située au bord de la mer, mais en pleine ville.
— A Brighton.
— Oui. Cette maison, c’était une pension.
— Je le sais, ça !
— Bon, bon.
— Mais c’est quoi, une pension ? Une maison avec des pensionnaires ? Comme la nôtre quand les autres seront là ?
— Non, c’était plutôt une sorte d’hôtel. Ma mère et mon père – tes grands-parents – louaient des chambres à des clients qui venaient à Brighton pour les vacances ou en voyage d’affaires. Le matin, ils leur servaient le petit déjeuner dans une salle du sous-sol. Ensuite, les gens payaient. Tes grands-parents travaillaient dur. Tous les jours, de nouveaux clients arrivaient et d’autres repartaient, le plus souvent après quelques nuits sur place seulement.
Toutes deux avaient pris place sur le lit de Rose et Gareth – leur refuge favori pour le rituel des histoires à l’heure du coucher. La chambre parentale se situait au dernier étage de la maison. Sous le plafond mansardé et traversé de poutres en chêne – assez haut pour que l’on puisse tenir debout –, on avait l’impression d’être encerclé, pris dans une étreinte. Avec la lumière tamisée et chaude qui baignait la pièce, on se sentait protégé, presque enlacé, même quand la tempête faisait rage au-dehors, ce qui était le cas ce soir-là.
Gareth avait voulu une sonnerie nette et forte, comme celle qu’il avait connue enfant dans la campagne au nord de l’Etat de New York, afin qu’on l’entende où que l’on soit. Cela exprimait selon lui une intention consciente, le fait d’être là volontairement, et non par hasard. Rose ne voyait pas comment il en arrivait à cette conclusion, mais leur sonnerie n’en demeurait pas moins pratique, d’autant plus qu’ils ne captaient aucun réseau de téléphonie mobile dans cette maison perdue au beau milieu de nulle part.
— Raconte-moi une histoire du temps où tu étais petite.
Deux semaines s’étaient écoulées. Anna était blottie contre sa mère. Etendu de tout son long sur elles, Manky, leur vieux chat, ronronnait comme une couverture chauffante motorisée.
— Je t’ai déjà dit comment j’ai rencontré Polly ? demanda Rose.
— Non.
— Ça t’intéresse ?
— Oui !
Lorsqu’elle apprit la mort de Christos, Rose n’hésita pas une seconde : il fallait que Polly et les garçons viennent à la maison. Gareth et elle avaient de la place pour les accueillir et Polly était sa meilleure amie depuis l’école primaire. C’était une évidence, ils devaient les rejoindre et laisser Rose prendre soin d’eux.
La nouvelle était tombée par téléphone le dernier jour de février. Anna et la petite Flossie dormaient. Rose et Gareth venaient d’allumer une bougie et d’ouvrir une bouteille de vin. Ils avaient rêvé d’un tel rituel du soir durant les deux ans et demi qu’ils avaient passés à rénover leur maison dans les collines du Wiltshire.
Elle prit son verre de vin et alla répondre.
— Christos est mort, annonça Polly tout de go.
Rose dut s’asseoir près de la fenêtre. Le froid des dalles sous ses pieds s’insinua en elle.
— Quoi ? lâcha-t-elle, incrédule.
Rien n’a été laissé intact : tout est tailladé, déchiré, arraché. De grosses taches de peinture de couleur chair rongent les surfaces et des fragments de papier se recroquevillent sur les bords.
Elle revit Christos, cette force de la nature. De tous ses proches – à l’exception de Gareth et des filles –, il était celui qu’elle imaginait le moins mort. Cet homme était la vie incarnée.