Ta grand mère ma parlé hier soir.
Et elle t'a demandé d'avoir une petite discussion avec moi.
A ton âge, j'aurais aimé avoir un vieil homo pour m'expliquer comment ça se passe. Les jeunes, on vous apprend comment faire entre un homme avec une femme, mais jamais entre garçons ou entre filles d'ailleurs.
Donc tu veux ta jolie petite amie en vitrine, et ton pote avec qui tu t'accordes un petit extra de temps en temps.
Non
Si! Et ce n'est pas juste, ni pour elle ni pour moi.
J'en ai assez d'espérer. Tu me connais. J'ai toujours eu ce que j'ai voulu, même Yannick en quelque sorte, je te l'arraché. Je veux décider de la fin, je refuse d'attendre la mort de quelqu'un pour avoir un sursis. Je suis heureuse de partir, fini les traitements et la souffrance. Je n'ai plus la force de me battre , j'ai vingt huit ans, vingt huit ans de bataille contre cette maladie, alors que je savais qu'elle serait de toutes les manières, victorieuse.
Il l’avait fait, il avait embrassé ce garçon.
Enfin !
Il avait goûté les lèvres de Sébastien, et le baiser avait été parfait. Le jeune homme s’était laissé apprivoiser petit à petit, et aujourd’hui il avait senti qu’il pouvait tenter sa chance, qu’il ne le repousserait pas.
Si sa mère n’était pas arrivée à ce moment-là, il aurait continué de le découvrir. Puis Sébastien avait eu l’air paniqué. Il avait alors souhaité le rassurer. Il lui avait dit que c’était une erreur, et l’autre garçon en avait convenu.
Voilà, c’était réglé. Il pouvait passer à autre chose et guérir de cette obsession pour Sébastien. Être attiré par un garçon ne le perturbait pas, il avait toujours admiré les courbes viriles de certains de ses coéquipiers. De plus, il regardait toujours les filles et n’avait pas envie de se poser de questions sur son appartenance à tel ou tel groupe (hétéro ou homo). Après tout, il était jeune et souhaitait profiter de toutes les expériences que la vie avait à lui offrir.
Lorsqu’il avait commencé en septembre, il épluchait les légumes et les fruits, les lavait, les coupait. Son père lui avait appris une recette puis une autre, lui indiquant les bons gestes.
Sébastien aimait ces instants où il était seul avec ce dernier, même s’il se montrait toujours autoritaire et peu affectueux. Bien sûr, quand Sébastien commettait une erreur, il était grondé, mais quand il réussissait, il était aussi félicité. Ce qui le remplissait de fierté, il espérait depuis longtemps que son père soit un peu plus attentif envers lui.
Marion prenait toute la place. Dès son lever, monsieur Mistral s’occupait d’elle, il reproduisait les gestes que le kinésithérapeute lui avait appris, puis les aérosols. Avant de se coucher, il recommençait les mêmes gestes. Sébastien ne jalousait pas leur relation, non, cela aurait été mesquin. Seulement, il aurait souhaité obtenir sa petite part d’amour paternel.
Depuis, il ne songeait qu’à Sébastien et au moyen de réparer son erreur. Il n’acceptait pas de perdre le jeune homme. Au commencement de leur relation, il avait cru à une passade, à un fantasme d’adolescent qui disparaîtrait aussi vite qu’il était venu une fois assouvi. Cependant, plus il découvrait la personnalité de Sébastien, plus il s’attachait à lui.
Certes, il avait toujours envie de Natalia, d’ailleurs vendredi soir elle l’avait gratifié d’une superbe fellation après leur départ précipité du cinéma. Un court instant, il s’était permis d’imaginer Sébastien à sa place, ses lèvres autour de lui et ses yeux bleus le fixant. L’image avait été si excitante qu’il avait joui prématurément. Mutine, Natalia avait plaisanté sur l’effet qu’elle produisait encore sur lui. Tel un lâche, il ne l’avait pas détrompée.
Yannick le fixait, son regard exprimait une telle douceur qu’il voulut se fondre en lui.
— Je t’aime.
Ces mots murmurés d’une voix rauque avaient échappé à Sébastien. Il les regretta aussitôt, surtout quand il vit le visage choqué de Yannick. Bon sang ! Pourquoi avait-il fallu qu’il se déclare ? Il se montrait peu prolixe d’habitude. Maintenant, il lui avait fait peur.
— Oublie, je n’aurais pas dû faire ça.
Sébastien repoussa Yannick. Ce dernier retomba sur le matelas. Il regardait le plafond, abasourdi. Le silence devenait pesant. Il espérait qu’il parle, qu’il dise quelque chose, n’importe quoi. Enfin Yannick, se releva sur un coude et lui sourit.
— Tu m’aimes ?
— Oui, mais tu n’es pas obligé d’éprouver la même chose.
Yannick l’attrapa par la main.
— Viens, gros nigaud.
Il mit dans son regard toute la froideur qu’il ressentait à son égard, afin de l’impressionner un minimum. Si Yannick maltraitait sa sœur, il aurait affaire à lui, tout dans son attitude tendait à le démontrer.
Un court instant il crut qu’il avait réussi son petit effet, parce que Yannick le contemplait à son tour sans un mot. Une sourde satisfaction envahie Sébastien, il était parvenu à effacer son sourire en coin. Mais, comme par magie, ses lèvres se retroussèrent à nouveau. Malgré sa poigne, Yannick emprisonnait ses doigts. Cette proximité l’incommodait et lui plaisait. Ces deux sentiments, bien que contradictoires, le déstabilisaient bien plus que sa timidité.
Sébastien se glissa dehors. Il pelait. Il chercha ses gants dans ses poches, et les enfila. La constatation de son homosexualité ne le déroutait pas tant que cela. Il s’en doutait. En fait, il l’avait toujours plus ou moins su. Seulement, il n’avait jamais voulu se l’avouer. Il refusait de réfléchir à l’avenir, et les conséquences sur son entourage. Pour l’instant, personne n’était au courant, et cela resterait ainsi.
Sébastien fonça au salon de thé pour se réchauffer, ses parents n’allaient pas tarder à fermer. Plus qu’une semaine, ce serait les vacances, il se demandait si Yannick continuerait de venir le mercredi pour qu’il lui apporte son aide. La pensée de ne plus le voir durant quinze jours le rendait triste.
Sébastien leva les yeux vers lui. La surprise puis un semblant de joie apparurent dans son regard bleu. Le cœur de Yannick sursauta dans sa poitrine. Puis les membres de Sébastien se raidirent, et son masque de froideur ressurgit. Yannick soupira.
Il s’approcha, pour lui serrer la main lui décernant un sourire qui lui fut rendu avec timidité.
— Je reviendrai la semaine prochaine, ça te va ?
Pour toute réponse, il eut droit à un hochement de tête. C’était déjà plus qu’il osait espérer. Sébastien l’obsédait, il pensait à lui du matin au soir, et la nuit il rêvait encore au jeune homme. Allégé de son sentiment d’échec, il ressortit de la maison pour enfourcher sa moto.