Derrière la vitre, les arbres défilent. Louis ne les compte plus. Il sait que plus rien ne lui rendra Laura. Ni arbres , ni prières. Alors il ferme les yeux, afin de laisser les paysages courir seuls, tels des vagabonds indésirables, sur lesquels ne se posent plus que des regards méprisants, et il reste debout dans le couloir, immobile, le corps faiblement soutenu par le mince rebord de la fenêtre. Dans sa tête il a éteint la lumière, les éclairs de pensées, les éclats de souvenirs, les scintillements de mots qui passent, il a tout éteint, et pourtant, il ne dort pas, il est bien là, pleinement conscient, au centre d'un train qui ne le mènera nulle part, encore une fois.
A seize ans Cassandre avait fait la connaissance d'un garçon aux yeux vairons.. Il l'avait emmenée au cinéma, l'avait raccompagnée dans sa Peugeot grise et lui avait fait l'amour en rabaissant le siège conducteur.
De tout cela elle ne conservait que le souvenir de ses yeux. Elle n'avait cessé de les regarder, et ne s'était même pas rendu compte de l'acte accompli- pour la première fois.
Car les yeux vairons lui avaient offert un bien curieux spectacle. Au début ce fut une lumière, au centre de la pupille, passant de l'une à l'autre pupille, en un rythme soutenu.
Après quelques mesures, la lumière trancha le bleu de l'oeil gauche, le vert du droit, et en fit des parcelles colorées de toutes formes et grandeurs. L'iris ainsi décomposé se mit à tournoyer à la manière d'un kaléidoscope.
Et c'est là, dans le tourbillon hypnotique de couleurs, qu'elle se mit à voir son avenir avec le garçon aux yeux vairons.