Julien Aime

La déception est brutale, violente. En un instant, on se retrouve abandonné par ses rêves, largué par ses illusions. Alors on essaie de faire bonne figure même si le cœur n’y est pas. On se rattache à ce qu’on peut, la décoration du restaurant qui invite à l’évasion, le vin fruité qui enivre, l’entrecôte de bœuf argentin délicieusement saignante, les photos et souvenirs de vacances des uns et des autres (ça a l’air magnifique le Costa-Rica, voir Naples et mourir) … Et on a parfois de bonnes surprises, comme tous ces points communs qu’on partage avec Anaïs, le goût des destinations lointaines, la découverte de cultures inconnues ou l’amour des guitares saturées, Page, Perry et Slash. Des conversations enfiévrées, qui à défaut de révéler l’amour, découvrent une amie ou un plan cul avec qui l’on fera un bout de chemin, quelques verres et quelques nuits, avant de se souhaiter bon vent et bonne chance pour le reste de la vie.

J’avais peur. Peur de l’engagement. Peur de me tromper. Peur de cette nouvelle vie qui se dessinait. Plus le mariage approchait, plus se profilait un destin qui m’effrayait, un avenir que je refusais. Ses parents, et sa mère surtout, s’étaient fait plus présents, presque imposants.

L’anneau et son diamant étaient si légers dans ma paume, si fragiles. Aussi fragiles que l’amour qui nous unissait.

C’est fou comme il est des dates dont vous savez à l’avance qu’elles ne vous quitteront jamais. Mon premier baiser avec Constance. Notre première fois. Le jour où elle m’a rendu ma bague de fiançailles.

Le bonheur des autres est cruel. Il vous renvoie à votre existence médiocre et votre avenir sans joie ni promesses.

Je voyais l’engagement comme une entrave, comme un enfermement. Finie la liberté. Etre seul, sans attaches, c’est avoir tous les possibles devant soi. Même quand on n’en fait rien. Et Dieu sait si je n’en faisais rien.

Ces instants de bonheur se troublent à mesure que le temps nous sépare et j’essaie de les retenir de toutes mes forces pour ne pas les oublier

Parfois la vie s’invite dans votre existence. Il suffit d’un regard, d’un sourire, d’un parfum pour que votre cœur batte plus fort et qu’un séisme ébranle tout votre corps. Il suffit d’un mot, d’un rien pour croire à nouveau que tout est possible : l’amour, le bonheur, tous les rêves enfouis que l’on pensait à jamais perdus.Et quand ce rien s’enfuit dans la nuit, il ne nous reste plus qu’à le pleurer et le chérir parce qu’il est arrivé.

Je compris à ce moment précis que la retraite allait tout changer pour moi. Je ne serais plus jamais le même dans le regard des autres. J'allais passer de l'être au néant, des journées bien remplies au vide intersidéral. 
Je pris peur.

Je m'appelle Jean-Michel et je pars à la retraite dans une heure, vingt-deux minutes et onze secondes.
Dans une heure, vingt-deux minutes et neuf secondes, je mettrai un terme définitif à ma vie active.
Dans une heure, vingt-deux minutes et sept secondes, je ferai le grand saut dans l’inconnu.
Vers cette petite mort qu'on appelle la retraite.