Le jeune homme laisse passer un moment de silence et se replonge dans ses activités. Les replis de la carte d’état-major et les colorations des géographes enchantent son imagination. Son crayon cahotant et fébrile trace dans les marges blanches les portraits de ces hommes barbus et coiffés de casques coloniaux tels qu’ils posent aujourd’hui dans les musées : les premiers explorateurs, les aventuriers, les repousseurs de frontières. Leurs photographies jaunies révèlent des visages tirés par le paludisme, la chaleur accablante ou la perte de la foi. Leurs tombes parsèment le continent africain et leurs noms font l'effet d'un sortilège. « Ils deviennent des demi-dieux », rêve Pierre, « et par leur faute les occidentaux s'attribuent la connaissance du monde et des peuples. L’inconnu se terre à présent au plus profond des êtres et ne se donne plus la peine d’en sortir ».
"Le plus étonnant est de voir un sang qui n'est ni humain ni animal".
Première page:
Les effluves de la nuit s'installent aux avant-postes de Yamoussoukro. La ville s'enfonce dans les ténèbres épaisses et insondables d'une nouvelle nuit africaine. L’odeur profonde de la forêt enveloppe l'espace. L'éclairage projette sa lumière blafarde sur le parterre nocturne. Yamoussoukro respire les dernières lueurs du jour. L'intensité des nuits ivoiriennes a surpris Pierre dès son arrivée sur le continent africain. Il s'installait dans sa véranda et scrutait, lumières éteintes et portes closes, ces ténèbres d'un noir d'encre où la moindre lueur étouffe et vacille, où le moindre bruit se perd et meurt. Ce soir, sanglé dans sa vareuse de l'armée française et accompagné d'une dizaine de soldats, il fend la nuit ivoirienne aux enjambées des jeeps Renault. L’expédition a quitté Abidjan en début d’après-midi et roule d’une traite en direction de la capitale de la Côte d’Ivoire.
La nuit transforme Yamoussoukro en labyrinthe. Le dédale des palmeraies et des ruelles privées d'éclairage décourage Pierre. Ils n’arriveront pas à temps. Des troupeaux rentrent à l'étable et ralentissent une fois de plus leur progression. Ils ne pourront pas visiter le Monument ce soir. Pierre, installé dans le véhicule de tête, s'impatiente.
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