Elle regarde le fleuve en contrebas, qui se laisse à peine deviner entre les frondaisons et la roche. Son père lui a souvent raconté que leur famille descendait d'un écuyer du Moyen Âge, bien plus en amont, à la source des eaux qui sont maintenant lourdes d'affluents. Elle se perd dans la contemplation de cette masse mouvante, hypnotique. Des reflets plus sombres ondoient doucement entre les éclats argentés. Quelle vie charrie le fleuve! Flore suit le courant des yeux et il la porte plus loin, toujours plus loin de sa source.
Sans cesse, Flore rabâche à son mari que sa famille est de haute lignée, qu'elle vient de la Meuse, et en frôlant ses reins du plat de la main, il sent bien que c'est vrai, car le fleuve se tient là, étendu à ses côtés, dans son cours sinueux et ses falaises abruptes. Ce corps, une fois porté en bière des années plus tard, aura marqué le matelas de sa forme. Et Jean, tous les soirs, caressera le lit de sa femme-fleuve.
Cette photographie est un des rares moments de tranquillité dans une vie qui nous embarque tous à toute vitesse, dans des flots toujours remuants, comme une branche emportée par le fleuve.
Le merci rempli d'amour qu'elle vient d'offrir à sa benjamine, c'est son héritage, que Marie pourra transmettre à toute sa descendance.