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Citation de Charybde2


Ces dix-sept là étaient des Groenlandais. La sauvagerie de cette race ne savait mentir et ces chiens avaient été utilisés depuis la nuit des temps pour la chasse à l’ours polaire. Les ours faisaient trois mètres de long pour parfois huit cents kilos et ces chiens, d’à peine trente, n’hésitaient guère à s’attaquer à eux. Leur corps était assez trapu, leur tête, semblable à celles des vaches, pensait souvent Mawson : lourde, dense, épaisse comme une enclume. Ils étaient faits pour la glace et l’extrême solitude du dernier continent. Chiens venus de Sibérie, ils possédaient une puissance incroyable, une volonté de brute, une endurance qui dépassait même celle des tempêtes et un tempérament aussi sauvage que la glace elle-même. Mawson avait entendu parler de chiens ayant dévoré leur harnais, clous et chaînes y compris, et ne doutait pas de la véracité de ces histoires.
Mawson n’avait pas le sens des bêtes comme pouvaient l’avoir Ninnis et Mertz, mais il devinait que les Groenlandais ne servaient pas les trois hommes : ayant un besoin viscéral de s’épuiser, ou d’essayer de s’épuiser, les dix-sept profitaient des explorateurs qui les alourdissaient de leurs traîneaux.
La Chienne avait réussi à calmer les seize autres et elle-même, ce qui était sans doute la tâche la plus compliquée, et les trois hommes redressèrent les traîneaux. Mawson fit :
— Mertz, montez sur le premier, prenez une couverture pour vous asseoir sur les caisses. Vous avez ouvert le chemin tout ce matin, vous avez travaillé pour trois. Laissez-moi prendre le relais.
Mertz hésita. Sous une apparence très calme, l’homme avait pourtant quelque chose qui le rapprochait des Groenlandais. Il désirait sentir la banquise sous ses pieds, se dresser contre le vent et sentir la morsure de la glace.
— Mertz, argumenta Mawson. Vous êtes fatigué et nous avons besoin de vous. Prenez soin de Ninnis et de moi en prenant soin de vous-même.
Mertz lança un long regard à Mawson, un regard aussi brun et expressif que celui de ses chiens. Et puis, il hocha la tête et, le cœur lourd, monta sur l’un des traîneaux.
Mawson se concentra, étira ses muscles, et se mit soudain à courir. Il fallait donner un objectif aux chiens, ils étaient faits pour cela et rien d’autre : avancer, avancer encore, et en cela, Mawson les respectait profondément.
Mawson courut ainsi, choisissant le chemin le plus aisé, celui où les traîneaux passeraient le mieux, là où les sastrugi étaient assez basses pour que les chiens les sautent ou les escaladent à grands coups de griffes. L’homme était dans une bulle. Le dernier continent était à la fois très clos et ouvert, jusqu’à un horizon qui semblait donner sur l’espace même. On n’y voyait pas les distances et la lumière y frappait d’un cru impossible à imaginer. Aucun arbre, aucune herbe, aucun animal pour troubler la vue ni la cibler sur un objet quelconque. Rien, rien jusqu’au ciel, ni rien non plus dans celui-ci. Et pourtant : clos, car on ne voyait cet infini qu’au travers de lunettes de bois fendu enfoncées dans plusieurs cagoules encroûtées d’une couche de glace. Il fallait régulièrement briser cette visière qui repoussait presque aussitôt. Les sons semblaient étrangers, eux aussi. La respiration résonnait dans les capuchons, et lorsque le vent ne hurlait pas à vous en arracher l’esprit, les sons semblaient plats, tombant des bouches et des objets. C’était une terre de secrets : on n’y voyait rien, on n’y entendait rien.
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