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EAN : 9791030706062
224 pages
Au Diable Vauvert (24/08/2023)
4.05/5   70 notes
Résumé :
Il n'existait pas de mots pour en parler, puisque les mots étaient une façon de communiquer entre les Hommes et que le Sud était par essence totalement inhumain. Il s'agissait d'une vie étrangère, une vie de glaces, de minéraux et de vents.

C'était un voyage au bout duquel il n'y avait rien. On ne pouvait se risquer dans cet espace que pour un court instant et on savait que l'on marchait non pas dans la mort, car la mort est une action, un fait, mais ... >Voir plus
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C'est seulement mon deuxième roman de Justine Niogret. Ce que je ressens à travers la plume de ce récit : quelque chose de frontal, brut de décoffrage, sans fioritures. Et pourtant, toujours beaucoup de sensibilités, de beauté d'âme dans les moindres recoins de la violence. Parce que son roman est violent : une aventure en antarctique avec la brutalité du froid, des engelures, des crevasses, des rations, des pertes… La violence pour survivre, la violence pour manger… Néanmoins, jamais dans la barbarie, jamais dans la bassesse du mépris ou de l'ingratitude. C'est touchant, c'est même très triste. L'amitié y est tellement captivante.
La question est tout ça pour ça ? « C'était un voyage au bout duquel il n'y avait rien », « un endroit où il était impossible de vivre ». Un défi arrogant ? Un défi arrogant qui va très vite rendre ses trois hommes, humbles. Car face à une nature violente, l'Homme n'est rien. Ou peut-être un peu quelque chose, mais le combat sera rude pour trouver sa place dans cette nature hostile. Peut-il lutter pour survivre dans ce monde glacial ? Et à quel prix ?
Je n'ai pas pu quitter ce livre avant d'en connaître le dénouement, happée par cette triste aventure et l'écriture de l'auteure.
Un vrai coup de coeur
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Du blanc, partout. de la glace à perte de vue. Pas l'ombre d'une vie, rien que l'immensité désertique. On dirait le Sud, le temps dure longtemps. Depuis des millions d'années. Et toujours cet hiver.

Le roman de Justine Niogret conte une exploration, qui ne va pas bien se dérouler. Celle de trois hommes lancés aux confins de l'Antarctique pour cartographier un monde encore inconnu. Même si le texte reste évasif, l'action se passe dans les années 1910 et est inspirée de faits réels, d'une équipée qui s'est bien lancée dans le grand Sud.

Un Australien, venu de la terre la plus proche, un Anglais et un Suisse. Pour un même objectif, défricher une terre encore vierge de tout passage humain (et animal). Trois hommes et leur horde de chiens.

Quand on eut mangé le dernier chien, le titre du roman donne immédiatement le ton, annonçant tout de suite l'un des fins mots de l'histoire. Parce que l'objectif n'est pas développer un suspense mais bien de coller au plus près de la réalité de cette expédition qui va tourner au drame.

200 pages, ça peut paraître court, mais c'est en fait le format idéal pour ce récit, tant l'autrice se montre minutieuse et pointue concernant les ressentis des trois équipiers.

Justine Niogret n'est pas la première venue, principalement connue pour ses romans de l'Imaginaire. Son premier, Chien du heaume a été bardé de prix. J'ai aussi en mémoire ; marque indélébile ; son roman noir La viande des chiens, le sang des loups sous le pseudonyme de Misha Halden.

Pour cette histoire vraie romancée, son profil et sa plume se révèlent parfaits. Il fallait faire preuve de bien d'imagination pour recréer le vrai ! D'invention pour parler du réel, d'esprit pour développer cette incroyable empathie envers ces personnages.

Le travail sur la narration, la construction des personnages, l'environnement et les émotions est assez incroyable. Chaque mot est pesé. A l'image des explorateurs qui ne peuvent pas se permettre d'emmener des futilités, l'écriture est à l'os, à ronger. Mais au plus près des corps et de leurs réactions, hommes et chiens.

Comme sur ces terres gelées où le temps n'a pas la même dimension, il convient de prendre le temps pour savourer, pour se laisser imprégner, envahir par cette immensité et ces conditions dantesques.

Pour survivre, il faut aller au-delà de ses limites, viser l'ascèse (mot utilisé à plusieurs reprises, par son importance). Oui, libérer l'esprit en demandant au corps bien plus qu'il ne peut donner, savoir se priver volontairement pour ce qui peut être vu comme de héroïsme. Ou de la folie.

Il faut bien une certaine folie pour partir ainsi, mais aussi de la folie pour tenter de revenir. Mais, comme le dit l'un des protagonistes, « Seul l'acte d'avancer à un sens, le retour n'existe pas ».

Pourquoi s'imposer cette douleur ? Pour chercher quoi ? C'est en allant au bout de leurs forces que certains trouveront (peut-être) un semblant de réponse.

En ce début de siècle dernier, il restait tout à découvrir, être le premier à poser le pied sur la banquise.

En faisant preuve d'auto-discipline, jusqu'à aller vers sa propre animalité.

Avec une conteuse qui ne surjoue pas. Au contraire, on perçoit la somme de recherches effectuées pour que ce récit sonne vrai. Pour faire ressentir au mieux les affres d'une telle virée.

Pour découvrir avec stupéfaction ce climat, ce décor qui en devient tangible par la grâce d'une écriture juste et tellement puissante de vérité. Et je le répète, sans jamais en rajouter mais avec une vraie poésie noire, toujours collée aux personnages et aux terrifiants événements qu'ils endurent. le titre du livre explique bien que rien ne se fera dans la facilité.

Quand on eut mangé le dernier chien, que resta-t-il ? le livre de fiction / réalité de Justine Niogret est une expérience littéraire saisissante, qui percute de plein fouet votre humanité, belle, grâce à des hommes valeureux jusqu'au bout malgré les conditions épiques. Dure par la violence de ce qu'ils endurent. Il fallait du talent pour ainsi raconter cette aventure, l'autrice en a énormément.
Lien : https://gruznamur.com/2023/0..
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Justine Niogret n'est jamais là où on l'attend.
Après la science-fiction et la fantasy, après la légende Arthurienne puis la littérature blanche… là voici qui s'essaye à la fiction historique avec le court — mais intense — Quand on eut mangé le dernier chien aux éditions du Diable Vauvert. En 200 pages, la française nous transporte dans les glaces polaires de l'Antarctique à la fin de l'année 1912 aux côtés des explorateurs de la « Far Eastern Party ». Prenez votre doudoune et vos bottes fourrées, car Justine Niogret n'est certainement pas là pour vous ménager !

Explorateurs du bout du monde
Entre 1911 et 1914, l'expédition antarctique australasienne explore les régions côtières du continent glacée. Durant cette période, l'Australien Douglas Mawson accompagné du Suisse Xavier Mertz et du lieutenant Belgrave Ninnis partent du Cap Denison le 10 novembre 1912 avec dix-sept chiens et deux traîneaux. Trois mois plus tard, Mawson parvient à rallier son camp de base de justesse. Il est seul, affamé et complètement gelé.
À la fois désastre et prouesse, l'histoire de l'expédition de l'est lointain restera dans les mémoires comme l'une des survies en milieu hostile les plus impressionnantes qui soit. Et c'est précisément cette histoire que se propose de vous raconter Justine Niogret dans son style tranchant comme une lame et avec son âpreté coutumière.

La Marche Blanche
Découpé en courts chapitres numérotés comme un compte-à-rebours vers la mort et qui renvoie au titre du roman, Quand on eut mangé le dernier chien décrit avec une précision incroyable les terres glacées de l'Antarctique. Justine Niogret nous donne le froid à ressentir, un froid qui mort, qui aveugle, qui tranche, qui tue. Elle montre l'animalité de cette région hostile à travers les chiens qui accompagnent les hommes mais aussi par la force des éléments qui se déchaînent autour d'eux ou cèdent sous leur passage.
L'expédition est un pari fou, complètement surhumain et qui, pourtant, convoque ici le courage à l'état brut. On y suit les trois personnages principaux, Ninnis, Mertz et surtout Mawson, trois hommes aux milieu de rien qui veulent l'exploit pour la grandeur et l'Histoire.
La glace ne se laisse pourtant pas apprivoiser ainsi et Justine Niogret nous le rappelle à chaque page. À chaque chien qui disparaît, à chaque sacrifice et à chaque douleur. Peu à peu, l'autrice française glisse vers le roman de survie pur et dur et l'on en reste tétanisé.

Envers et contre tout
Car Justine Niogret imagine ce qu'a pu être le combat du dernier homme debout, celui qui refuse d'abandonner et avance, encore et encore, comme un zombie, comme un robot, comme une figure Christique condamnée au martyr de l'engelure et du blizzard. Quand on eut mangé le dernier chien s'étonne devant la force qui maintient Mawson en vie, devant son courage et sa ténacité hors du commun. le roman s'interroge : qu'est-ce qui pousse à continuer dans ces moments-là ? Quand vous avez tout perdu, que votre corps suinte et part en lambeau, quand vous n'avez plus rien à manger et quand tout, absolument tout, devrait vous dire de fermer les yeux dans la neige. Justine Niogret avance avec Mawson, le pousse vers l'exploit, s'immisce dans la douleur physique et psychologique. Et l'on peine avec Mawson au fil des pages. le froid nous saisit à travers les mots de l'autrice, avec cette verve qui sait si bien faire ressortir le noir et de désespoir.
La survie tiendra en haleine jusqu'au bout, pa(ge)s après pa(ge)s… comme une renaissance au monde.

C'est dans la volonté du survivant que l'humain construit sa légende, qu'il traverse les âges et devient sous la plume de Justine Niogret une figure presque fantastique, celle qui lutte alors qu'il ne lui reste rien d'autre que lui-même. Un court et grand roman, des frissons pour l'exploit et la douleur, pour le lecteur et pour l'Histoire.
Lien : https://justaword.fr/quand-o..
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En 1911, l'explorateur anglais Douglas Mawson et ses deux compagnons partent en traîneau pour une longue mission de cartographie des confins de l'Antarctique. Dès le début, les conditions atmosphériques sont épouvantables, contraignant bêtes et hommes à des efforts surhumains pour progresser. le froid implacable, la faim omniprésente, le danger au coin de chaque crevasse, le corps qui renonce, la douleur insupportable : tout concoure à transformer cette expédition en drame.
Inspiré d'une histoire vraie mais romancée, ce récit impressionnant de réalisme vous scotchera sur votre fauteuil, partageant par procuration chaque souffrance, chaque frayeur, chaque calvaire. Un roman vraiment époustouflant !
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L'autrice s'attaque à l'une des fameuses expéditions antarctiques au début du XXe siècle, alors que le dernier continent inexploré excitait l'imagination des foules. le récit commence sur un glacier, évitant les habituelles scènes de préparatifs, pour nous plonger immédiatement dans l'enfer blanc. Dès les premières pages, avec son style féroce, Justine Niogret arrive à dépeindre la violence des éléments, l'hostilité de ce monde minéral, inhumain. Bien que très documenté et ancré dans un réalisme cru, il ne s'agit nullement d'un roman historique ou d'un récit de survie classique. L'autrice semble plutôt à la recherche d'une forme d'épure, presque abstraite, se concentrant sur la progression des trois explorateurs et de leurs chiens de traineau dans l'immensité glacée. le titre annonce déjà les souffrances que les hommes et les bêtes devront endurer. Blizzards, crevasses, blessures et rationnements. Justine Niogret célèbre l'amitié et la résistance des corps face aux nombreux périls, n'hésitant pas à lorgner vers l'horreur. Elle sonde aussi les âmes. Rarement vous n'aurez aussi froid lors d'une lecture sous la couette.
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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Ces dix-sept là étaient des Groenlandais. La sauvagerie de cette race ne savait mentir et ces chiens avaient été utilisés depuis la nuit des temps pour la chasse à l’ours polaire. Les ours faisaient trois mètres de long pour parfois huit cents kilos et ces chiens, d’à peine trente, n’hésitaient guère à s’attaquer à eux. Leur corps était assez trapu, leur tête, semblable à celles des vaches, pensait souvent Mawson : lourde, dense, épaisse comme une enclume. Ils étaient faits pour la glace et l’extrême solitude du dernier continent. Chiens venus de Sibérie, ils possédaient une puissance incroyable, une volonté de brute, une endurance qui dépassait même celle des tempêtes et un tempérament aussi sauvage que la glace elle-même. Mawson avait entendu parler de chiens ayant dévoré leur harnais, clous et chaînes y compris, et ne doutait pas de la véracité de ces histoires.
Mawson n’avait pas le sens des bêtes comme pouvaient l’avoir Ninnis et Mertz, mais il devinait que les Groenlandais ne servaient pas les trois hommes : ayant un besoin viscéral de s’épuiser, ou d’essayer de s’épuiser, les dix-sept profitaient des explorateurs qui les alourdissaient de leurs traîneaux.
La Chienne avait réussi à calmer les seize autres et elle-même, ce qui était sans doute la tâche la plus compliquée, et les trois hommes redressèrent les traîneaux. Mawson fit :
— Mertz, montez sur le premier, prenez une couverture pour vous asseoir sur les caisses. Vous avez ouvert le chemin tout ce matin, vous avez travaillé pour trois. Laissez-moi prendre le relais.
Mertz hésita. Sous une apparence très calme, l’homme avait pourtant quelque chose qui le rapprochait des Groenlandais. Il désirait sentir la banquise sous ses pieds, se dresser contre le vent et sentir la morsure de la glace.
— Mertz, argumenta Mawson. Vous êtes fatigué et nous avons besoin de vous. Prenez soin de Ninnis et de moi en prenant soin de vous-même.
Mertz lança un long regard à Mawson, un regard aussi brun et expressif que celui de ses chiens. Et puis, il hocha la tête et, le cœur lourd, monta sur l’un des traîneaux.
Mawson se concentra, étira ses muscles, et se mit soudain à courir. Il fallait donner un objectif aux chiens, ils étaient faits pour cela et rien d’autre : avancer, avancer encore, et en cela, Mawson les respectait profondément.
Mawson courut ainsi, choisissant le chemin le plus aisé, celui où les traîneaux passeraient le mieux, là où les sastrugi étaient assez basses pour que les chiens les sautent ou les escaladent à grands coups de griffes. L’homme était dans une bulle. Le dernier continent était à la fois très clos et ouvert, jusqu’à un horizon qui semblait donner sur l’espace même. On n’y voyait pas les distances et la lumière y frappait d’un cru impossible à imaginer. Aucun arbre, aucune herbe, aucun animal pour troubler la vue ni la cibler sur un objet quelconque. Rien, rien jusqu’au ciel, ni rien non plus dans celui-ci. Et pourtant : clos, car on ne voyait cet infini qu’au travers de lunettes de bois fendu enfoncées dans plusieurs cagoules encroûtées d’une couche de glace. Il fallait régulièrement briser cette visière qui repoussait presque aussitôt. Les sons semblaient étrangers, eux aussi. La respiration résonnait dans les capuchons, et lorsque le vent ne hurlait pas à vous en arracher l’esprit, les sons semblaient plats, tombant des bouches et des objets. C’était une terre de secrets : on n’y voyait rien, on n’y entendait rien.
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Hors de la tente, un des chiens se mit à hurler. On ne pouvait guère entendre son cri, mais on le ressentait, dans la chair: une vibration organique, vivante, au milieu des rugissements de vent si durs qu’ils en devenaient minéraux.
Mertz se mit à rire. Il était brun, petit, physique. Il avait une présence d’ourse au milieu de la tente et de la neige : une présence chaude, réelle. Dans ce désert de glace, il avait une maté- rialité non négligeable, quelque chose de posé, quelque chose qui existait malgré les centaines de kilomètres de banquise s’étendant autour de la petite tente.
Mertz se mit à rire, donc, et Ninnis rit à son tour, parce qu’il savait ce qui allait suivre.
Ninnis était très jeune, comme seuls savent l’être les Anglais à vingt-cinq ans : encore blond d’enfance, délicat et tendre. On aurait dit une poupée de porcelaine et, si on lui avait retiré ses vêtements, on se serait attendu à voir, aux articulations de ses coudes et de ses genoux, de jolies cordelettes tenant les différentes parties de son corps en pâte de verre.
— C’est La Chienne, expliqua Mertz à Mawson. Elle n’est pas contente.
— Il me semble que je n’ai jamais vu La Chienne être contente, répondit Mawson.
Mawson était, lui, aussi fantasque qu’une expérience scientifique. Il était géologue et cette description se suffisait sans doute à elle-même, si on y ajoutait qu’il était anglais.
— Et pourquoi n’est-elle pas contente, d’ailleurs ? demanda Mawson.
Mertz et Ninnis échangèrent le regard des jeunes mères, lorsqu’on leur pose une question d’une incroyable sottise sur les nouveau-nés. Mertz et Ninnis s’occupaient des chiens depuis des mois. Ils les connaissaient comme on connaît sa maison et son domaine, sa poche et sa chambre.
— Elle attend sa portée, Douglas, répondit Ninnis à Mawson avec un sourire.
— Je ne suis pas certain que cet état explique toute sa mauvaise humeur, répondit Mawson. Mertz et Ninnis rirent encore.
— Mawson, ajouta Mertz, je me garderais bien de dire à La Chienne ce qu’elle doit penser. Je ne suis pas aussi brave que vous.
Ce fut au tour de Mawson de rire, ou de sourire en coin, ce qui chez lui revenait presque au même.
Mertz posa le poing sur la toile de tente. Même ici, dans la toute relative chaleur du petit poêle Primus allumé, les trois hommes ne retiraient, au mieux, qu’une couche de vêtements, et Mertz portait encore ses mitaines et ses gants. Ses moufles pendaient au bout du cordon passé dans les manches de son manteau du dessus. Mawson connaissait par cœur ce geste, qu’il faisait lui aussi. Poser le poing sur la toile de tente, tâter le vent, sentir ses coups de boutoir déchirants. Mawson avait croisé des tempêtes, aussi bien sur terre que sur mer : elles restaient toujours à une certaine échelle humaine. On pouvait imaginer la volonté d’un Dieu ou d’une Déesse s’en prenant aux hommes et à leurs constructions, voulant leur faire revenir en bouche le goût de la boue des débuts du monde. Il y avait de la sauvagerie, mais une sauvagerie que l’on pouvait appréhender. Ici, c’était autre chose. Ici, le vent dansait à sa façon et rien, absolument rien, ne savait danser avec lui.
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L’expédition était composée des trois hommes, Mawson, Ninnis et Mertz, de dix-sept chiens et de deux traîneaux. Les explorateurs se répartissaient les tâches: guider les bêtes, ouvrir la route à skis ou, enfin, se reposer sur le traîneau de queue. L’affaire, sur le papier, présentait une facilité déconcertante : les trois s’étaient entraînés durant des mois et Mawson avait choisi ses deux compagnons parmi les milliers d’autres volontaires venus des quatre coins du monde. Personne n’aurait pu mettre en doute leur motivation et leur compétence. De plus, Ninnis et Mawson étaient d’excellents skieurs, mais Mertz poussait la compétence jusqu’à avoir escaladé les sommets des Alpes et avoir été parmi les champions de ski de Suisse.
C’était lui qui, ce matin, ouvrait la marche et Mawson discernait très nettement, au loin, sa petite silhouette noire glisser sur la surface de la banquise. Mawson vit aussi, malgré l’épaisse couche de vêtements et la distance, s’affaisser les épaules du skieur.
Mawson chuchota pour lui-même :
— Sastrugi.
Mertz se tournait déjà vers les traîneaux et criait :
— Sastrugi !
Les sastrugi étaient une mauvaise nouvelle : la promesse d’heures exténuantes à tirer les traîneaux aux côtés des chiens. Mawson ouvrait déjà la bouche pour faire part de sa déception à Ninnis, mais se retint. Il secoua la tête comme pour changer d’humeur et parvint à lancer d’un ton léger au Lieutenant :
— Nous avons déjà bien avancé ce matin et les sacs de couchage sont secs ! Que pouvions-nous demander de plus ?
Ninnis sourit, aussi serein que s’il était à un pique-nique de printemps.
— Avoir déjà passé, et une poignée d’heures, et ce champ de sastrugi ! Avoir monté la tente et tenir une tasse de thé entre nos mains !
Et Mawson, cette fois-ci, rit franchement.
— Je ne saurais mieux dire, Ninnis! Je ne saurais mieux dire.
Lorsqu’ils rejoignirent Mertz, le Suisse avait déjà retiré ses skis : ils ne serviraient à rien dans un champ de sastrugi.
Il s’agissait de crêtes de neige aiguës, toutes parallèles, montant au moins jusqu’aux hanches, parfois au sternum. Le vent changeait ces dunesen glace transparente et Mawson, en voyant leur dos lisse et bleu percer la surface poudreuse de la banquise, songeait aux ailerons des dauphins qui accompagnaient parfois les bateaux sur l’océan. Les sastrugi étaient dures comme de l’acier et rencontraient presque toujours le chemin des explorateurs de façon perpendiculaire. Les patins des traîneaux ne pouvaient les briser pour s’y faire un chemin et les passer à skis relevait du numéro d’équilibriste: on ne pouvait tenir que sur le sommet de deux crêtes et le bois des skis pliait comme un arc, puis se brisait. Il n’y avait guère que deux solutions : faire un détour, ou s’y frayer un pénible chemin, à pied, en aidant les chiens à faire monter et descendre les traîneaux, tout en s’assurant que les cargaisons ne se renversent pas. Les sastrugi se passaient à la force des bras, et les trois hommes ne le savaient que trop bien.
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Le comptage des rations restantes fut le chant funèbre donné en l'honneur de Ninnis. Les colonnes griffées sur le papier furent son dernier missel. Les chiffres donnés à voix haute rendirent sa mort réelle et, d'une certaine façon, définitive. Elle l'était depuis le premier instant, mais ce témoignage était le premier écrit, la première preuve qui reviendrait avec les deux hommes sur le continent. Mawson en ressentait de la douleur, mais aussi une certaine sérénité. Noter, comptabiliser, lui donnait l'impression de faire quelque chose, d'agir, et il savait qu'il en avait grand besoin.
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Il voyait la science comme un puzzle à jamais incomplet et il se sentait le devoir d'en rapporter cette pièce. Il avait entendu dire que ses buts étaient vantardise, son désir, démentiel. À cela, il répondait que les échecs grandioses dépassent, et de loin, les médiocres réussites.
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Vidéo de Justine Niogret
Présentation de Quand on eut mangé le dernier chien de Justine Niogret par l'autrice. Parution 24 août 2023. Découverte en littérature ! Un roman tranchant comme une lame dans l'étendue glacée de l'Antarctique. Inspiré par l'expédition Aurora dirigée et rapportée par l'explorateur australien Douglas Mawson en 1911 pour explorer et cartographier les confins de l'Antarctique, ce roman sous tension est une plongée immersive aux côtés de ces aventuriers dans un environnement grandiose et mortel, le froid, le blizzard, la neige et la faim, l'épuisement et l'implacable hostilité de la nature. L'écriture organique, d'une précision sans fard, de cette autrice révélée et suivie en imaginaire, transfigure l'histoire réelle pour restituer, hors du temps, la violence et la dureté des éléments et écrire un inoubliable roman de femme sur le courage de survivre.
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