Elle s'agenouilla près de l'eau. Ses cheveux étaient recouverts d'un foulard blanc.Elle déposa quelque chose sur le sable avec une infinie délicatesse. Son geste était tendre, merveilleusement présent. Elle eut une hésitation, une ultime attention, posa sa main, la retira, puis partit en courant, sans se retourner vers la chose, et s'engouffra dans le noir de la nuit.
La chose resta seule un court instant sur le sable, au milieu des bouteilles de bières et de mégots. Elle aurait pu rester ainsi des heures, des jours, muette, immobile, sans un regard posé sur elle. Un linge blanc l'entourait qui frémissait au vent. Avec celui des vagues, c'était le seul bruit de cette nuit. Soudain un cri déchira le silence. Un frisson parcourut le dos de la femme qui fuyait. Elle se dit : je ne pensais pas qu'il allait pleurer si vite.
Une panique l'envahit, elle se dépêcha et courut pour se retrouver le plus loin possible de lui et de la plage. Elle dit se dit encore : non je ne dois pas me retourner et revenir sur mes pas...Je ne veux pas penser à ce qu'il est, à ce qu'il pense. Je dois le faire, sinon, il n'aura pas de nom, il n'aura pas de droits, je dois le faire, je ne suis pas la première ni la dernière. je le sais.
La nuit noire finalement l'avala. Et s'il n'y avait eu ses traces de pas sur le sable, on aurait pu croire qu'elle avait soudainement disparu, qu'elle n'était même jamais venue. Que le bébé était apparu mystérieusement, posé là par Dieu.
sinon
-Ton père s'appelle Sélim. Ça s'est passé la nuit en Algérie dans la maison dans laquelle je suis née...Tout le monde dormait...Sélim est venu me voir dans ma chambre. On s'est assis sur mon lit. On s'est regardés longtemps. Puis il m'a embrassée. Il m'a embrassé comme un homme qui n'a pas embrassé une fille depuis des années. Ses lèvres étaient molles et douces sur les miennes. Ses bras étaient chauds et ronds comme un nid. Je me suis glissée contre lui et j'ai arrêté de pleurer Lui, il s'est penché sur moi, tout recroquevillé comme un enfant, et il a commencé à gémir.
Tu fais lentement glisser ta main contre la porte...Je l'entends, je la sens. Alors moi aussi, je fais glisser ma main en même temps que toi, et c'est ma manière à moi de te donner une caresse quand même. Malgré tes mots absurdes, cyniques.
- Pardonne-moi, Hanifa. je ne pouvais pas. Nous ne sommes pas du même monde.
- laisse-moi.
La voisine au regard bleu tourna la tête et remarqua ce paquet par terre : elle s'avança avec prudence. D'un coup de pied hésitant, elle le retourna puis fit un bond en arrière en poussant un cri : un nourrisson gisait sur le sable. Malgré la décomposition de son corps, on pouvait deviner une partie de sa bouche ouverte, figée dans un ultime appel. Il lui manquait la moitié de la mâchoire.