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Critiques de Karine Clément (4)
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Contestation sociale à bas bruit en Russie

Chouette, chouette, un peu de réseau. Non pas qu'au cœur de la Bretagne, on ne reçoive pas Internet :-)) mais depuis notre villégiature estivale, je dois admettre que c'est un peu difficile de se connecter. Je publie hop, hop mon billet afin de respecter les délais d'une masse critique. J'en profite pour remercier Babelio et les Editions du croquant pour cet envoi





Voici un essai bien intéressant mais qui arrive je crois un peu tard. L'invasion de l'Ukraine par la Russie en mars dernier ayant provoqué moult commentaires, analyses, je ne m'avancerai pas en affirmant que tout a été dit mais...

Après une 1ere partie, bien longue, consacrée aux différents courants sociologiques d'analyse de la critique sociale ordinaire, entendre la critique des gens d'en bas, Karine Clément expose une synthèse construite après des entretiens tenus auprès de quelques 250 personnes afin de dresser un portrait de l'homo sovieticus.

Pour résumer ? Les gens d'en bas ont du bon sens né de l'expérience de la vie concrète. Et oui...

Et quand ils émettent des critiques ils le font "à bas bruit" (j'aime bien cette expression) non pas par crainte de l'autoritarisme ambiant mais à cause des risques matériels que provoquerait une protestation ouverte. Bah ça... Pour dire les choses plus simplement, ils ne craignent pas le goulag mais de perdre le peu qu'ils ont.

Et que contestent ils, me demanderez-vous ?

L'autorité de Poutine ? Un peu mais selon K C. le maître du Kremlin n'est pas le maître. Ce sont les oligarques (tiens, tiens. On ne s'en serait pas douté) qui concentrent tous les griefs : accaparement des richesses nationales à leur seul profit, pillages des régions et détournement vers Moscou ou St Petersbourg, blocage de l'ascenseur social né péniblement du chaos des années 90 au profit de leurs rejetons...

J'ai trouvé tout ça bien long alors que l'ouvrage ne compte que quelques 150 pages.

J'ai trouvé ça bien répétitif. La même notion, analyse déclinée au fil des pages d'un même chapitre...

Je n'ai découvert aucune révélation sur les sentiments que le peuple russe formule "à bas bruit".

Enfin, d'un côté K. C. affirme que les craintes d'une politique expansionniste de la Russie n'était pas fondée (raté) mais prend beaucoup de précautions quand il s'agit de formuler le ressenti du peuple "les inégalités sociales sont pensées comme un rapport d'exploitation.. Les plus riches ne travaillent pas et tient leur richesse de la privatisation des ressources nationales et de l'exploitation des travailleurs qu'ils font travailler beaucoup"...

Je suis un peu déçue mais pas au point de regretter pas ma lecture..

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Contestation sociale à bas bruit en Russie

Bientôt un mois que j’ai reçu ce livre, dans le cadre d’une masse critique. Ce livre, je crois bien que c’est le seul que j’avais demandé. Il faut dire que je venais de lire une ou deux semaines avant un article rédigé par Karine Clément sur la situation en Russie, et que cet ouvrage était mentionné dans l’encadré présentant l’auteur de l’article. C’est peu dire que je tenais à lire ce livre. Une fois la lecture commencée, j’ai réalisé que c’était un ouvrage très universitaire dans sa forme, ce qui ne rend pas la lecture aisée. D’autre part cet ouvrage date de janvier, autant dire, vu les événements actuels, une éternité, un autre monde. Et puis, comment parler de ce livre sans commenter son contenu, donner son avis ou sans spoiler ? Extrêmement difficile. Pour la forme j’ai été un peu déçue, j’aurais apprécié plus d’extraits d’entretiens retranscrits, même si cela aurait augmenté le nombre de pages, cela aurait allégé une lecture quelque peu ardue en l’état. Le sujet est intéressant, plus qu’intéressant, passionnant. Une étude sociologique sur la contestation sociale et le nationalisme qui repose sur un travail effectué moins de deux ans avant l’invasion du pays voisin, je ne suis pas sûre que les historiens trouvent souvent cela sous la main (et j’espère qu’ils pourront avoir accès à la matière première, les transcriptions d’entretien). Toujours est-il que cet ouvrage repose sur une masse de travail d’enquête très conséquent vu la taille de la Russie.

Je vais juste indiquer quelques idées majeures qui ressortent de cette étude :

* Le projet nationaliste de l’État et de Poutine est très peu précis : pour l’essentiel il repose sur l’idée qu’il est très positif d’être patriote, sans que pour autant le patriotisme reçoive la moindre définition, ce qui permet à un maximum de personnes d’adhérer sans le moindre débat ni la moindre friction. Ce nationalisme « d’en haut » est vide de toute idéologie (rien sur la composition de la nation, rien sur les droits qu’implique l’appartenance nationale). Il ne reste que l’attachement au glorieux passé historique et à la grande culture russe, ainsi que la défense des valeurs traditionnelles.

* Pour la plupart des Russes le « nous » national s’oppose à un « eux » qui désigne surtout l’Occident, et surtout les Etats-Unis, mais aussi les libéraux. Il n’existe pas de courant qui en appelle à plus d’autonomie nationale par rapport à la mondialisation. Ce qui domine plutôt c’est le sentiment d’une ingérence occidentale dans les années 90 pour imposer des choix politiques. Tous ces sentiments sont susceptibles d’être instrumentalisés par la propagande. Il est notable que racisme et xénophobie sont déconnectés du sentiment nationaliste, le « nous » national ne s’oppose pas à « eux », les étrangers, les musulmans,les …

* L’élite, les gens cultivés, l’intelligentsia, qu’elle soit nationaliste ou antinationaliste, considère que l’immense majorité des Russes accorde une foi naïve à la propagande d’État. Elle fait presque preuve d’une sorte de racisme social. Le « nous » s’oppose dans l’élite intellectuelle presque toujours à « eux », la masse passive et moutonnière du peuple. L’intelligentsia de gauche est réduite à la portion congrue et n’est pas non plus tournée vers le peuple, pour elle, tous ceux qui s’appuient sur le peuple sont des populistes, au mauvais sens du terme. La critique sociale de l’intelligentsia ne remet pas du tout en cause l’inégalité sociale mais seulement les critères sur lesquelles celle-ci repose : elle met dans le même sac les « nouveaux riches » et les plus pauvres et souhaiterait une société basé sur le mérite et les capacités intellectuelles ou spirituelles et non sur l’argent !

* Le peuple, quand à lui, exprime des opinions qui ne sont pas si éloignées des Gilets jaunes ou des indignés, mais il y a clairement un déficit de mobilisation collective (qui n’est pas dû à un loyalisme moutonnier) lié à un sentiment d’impuissance et à la crainte de voir sa situation matérielle se dégrader s’ils font quelque chose. Il y a par ailleurs une résurgence d’un marxisme vernaculaire qui semblait disparu dans les années 90 et qui réapparaît au fur et à mesure que les structures sociales capitalistes deviennent plus visibles. Le peuple s’est aussi plusieurs fois mobilisé à l’échelle locale ou régionale, mais cela n’a jamais été médiatisé et donc tout changement d’échelle ou soutien d’autres régions a été étouffé dans l’oeuf.

Du coup, et là ce n’est pas dans le livre, mais un avis personnel : les russes de base zombifiés qui soutiennent Poutine ne sont probablement pas si loyaux qu’ils en ont l’air, mais le sont juste ce qu’il faut pour qu’une bonne partie de l’intelligentsia soit complètement paniquée, et hélas aussi, renforcée dans son mépris du peuple. Dans l’article de Karine Clément que j’avais lu après l’invasion de l’Ukraine, elle expliquait que les gens qui soutiennent vraiment Poutine sont ceux qui ont connu avec Poutine une trajectoire sociale ascendante (probablement pas si nombreux que ça).
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Contestation sociale à bas bruit en Russie

Il y a quelques jours, j'ai lu Contestation sociale à bas bruit en Russie, écrit par Karine Clément et publié aux éditions du Croquant. de nombreux chercheurs et étudiants russes ont collaboré avec l'autrice pour la collecte des données nécessaires à l'élaboration de cet ouvrage fouillé, que j'ai trouvé très intéressant.



Karine Clément, qui a vécu en Russie, propose de démontrer la richesse de la pensée critique des classes populaires, sur la base de 247 entretiens d'environ une heure. En mobilisant des imaginaires sociaux, les personnes issues de ces catégories nourrissent une réflexion "critique, pratique et ancrée dans les corps et le bon sens" pour contester l'État à bas bruit, dans un pays autoritaire.

Ces contestations sont donc de l'ordre de l'infrapolitique, car elles ne font pas forcément l'objet de mobilisations et sortent ainsi des cadres institutionnels. Il est aussi intéressant de noter que les personnes sont souvent plus intéressées par ce qui est matériel et concret (la vraie vie quoi), que par les discussions d'élites bourgeoises sur la manière de diriger un pays. Les principaux résultats des travaux menés à l'issue de l'enquête de terrain sont présentés dans ce livre, à travers un développement dont le coeur concerne la critique sociale ordinaire de bon sens, alimentée par un imaginaire populaire et héritage d'un marxisme vernaculaire. Ainsi, l'autrice propose d'appréhender la critique sociale en lien avec un nationalisme qui ne reproduirait pas toujours le discours nationaliste de l'État. Ce nationalisme "par en bas" nourrirait ainsi un esprit critique envers les dominants et le partage inégal des richesses.

C'est pour répondre à une commande institutionnelle que le nationalisme a été étudié dans cet ouvrage, ce qui a permis d'avoir des fonds pour les recherches effectuées. Celles-ci suivent aussi la conviction que le nationalisme en Russie peut dériver à l'impérialisme et à un renforcement de l'autoritarisme. Pour l'autrice, les recherches auront en grande partie confirmé et renforcé cette intuition.



Voilà une grossière tentative de résumer l'objet de ces travaux, que je trouve intéressants à plus d'un titre. L'autrice le dit et je le pense aussi : les élus et les intellectuels gagneraient certainement à s'inspirer de la critique ordinaire de "bon sens" pour développer leurs programmes et leurs théories de l'émancipation. La pensée critique pouvant bel et bien constituer une voie vers cette dernière qui nous est chère. En cela et parce que la critique sociale ordinaire est encore peu étudiée, je comprends véritablement le potentiel de ces travaux pour la recherche.



J'ai grandement apprécié la clarté et l'accessibilité de cet ouvrage. L'introduction permet de connaître et comprendre les notions mobilisées dans le développement, tout en faisant également état des discussions scientifiques autour de celles-ci. Dans tout cela, l'autrice prend le temps d'expliquer et de justifier à quelles définitions de ces notions elle s'est rattachée pour ces travaux (puisqu'elles évoluent avec la recherche et ses différents courants), ce qui permet aussi d'en apprendre un peu sur ce champ d'études et sur les différentes écoles de pensées qui l'investissent. L'ouvrage comporte également en annexe une notice méthodologique pour comprendre la discussion scientifique du bien-fondé des conclusions de ces travaux, mais également un tableau de synthèse des principales définitions utilisées dans l'ouvrage.



Il a également été très intéressant pour moi d'avoir cette vue d'ensemble des différents nationalismes en Russie, ainsi que des différentes critiques sociales ordinaires et de leurs conditions d'émergence. Ainsi, l'ouvrage fait état de trois grands types de nationalismes et de leurs imaginaires sociaux :

-Le nationalisme d'État, qui porte dans ses discours un désir d'unité nationale et d'appartenance à une "grande communauté"

-Un nationalisme élitiste, porteur d'une critique sociale ordinaire intellectualiste et ayant une vision élitiste de la nation

- le nationalisme populaire, dont émane la critique sociale ordinaire de bon sens, qui bénéficie d'ailleurs d'une élaboration théorique.



Avec cet ouvrage, j'ai beaucoup appris d'un pays que je connaissais surtout par la littérature des XIXe et XXe siècles. Si le texte gagne est plutôt court et synthétique, ce qui lui permet de gagner en accessibilité et que je valorise beaucoup pour la recherche, chaque sujet évoqué a de quoi remplir des volumes entiers. Le travail de synthèse n'a pas dû être simple ! Cependant, avec toutes les recherches qui ont dû être effectuées pour que ce livre voie le jour, j'aurais peut-être aimé avoir un peu plus de détails, notamment concernant les entretiens menés. Pour satisfaire ma curiosité, il m'aurait bien plu d'en retrouver davantage dans le texte. C'est que l'enquête de terrain, effectuée entre 2016 et 2018 a nécessité beaucoup d'entretiens !

Fort heureusement, la bibliographie reste bien fournie, ce qui pour moi est de mise : à la fois pour la rigueur académique, mais aussi pour creuser les sujets évoqués dans ce livre, qui sera pour moi une porte d'entrée sur de nouveaux terrains d'études.

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L'invasion de l'Ukraine: Histoires, conflit..

Les causes de cette guerre ne sont pas à chercher en Ukraine, mais à l’intérieur de la Russie



En avant-propos, Alexis Cukier parle d’événement majeur, de savoirs « permettant de s’orienter au sein des problèmes politiques causés ou révélés par cet événement historique », de débats concernant « l’impérialisme russe, la résistance ukrainienne, l’aide militaire de l’Otan, et tous les enjeux politiques impliqués par la guerre ». Il serait plus juste d’écrire l’aide militaire de gouvernements de pays adhérents à l’Otan.



Il explique le projet et les choix éditoriaux, la traduction d’un texte de Tony Wood dont les analyses ne faisaient pas consensus, l’engagement de Karine Clément, Denys Gorbach, Hanna Perekhhoda et Catherine Samary « en France, en Suisse et au niveau international, dans le soutien à la résistance populaire ukrainienne, et à l’opposition contre le régimes de Vladimir Poutine ».

Un ouvrage en cinq chapitres et un entretien conclusif.



Au delà des points d’accords et de fortes divergences, je ne vais pas détailler le texte de Tony Wood « Matrice de guerre ». Je ne suis pas convaincu de son utilité ici. Je voudrais cependant souligner quelques problèmes de « méthode ». Des termes employés ne me semblent adéquats pour favoriser « les débats qui traversent la gauche au niveau mondial et sur les tâches de l’internationalisme et de l’anti-impérialisme aujourd’hui » pour utiliser le formulation d’Alexis Cukier.



« Matrice de guerre », « lutte géopolitique », « projets géopolitiques et géoéconomiques rivaux », « confrontation entre deux projets », « équilibre stratégique », « blocs rivaux », « d’objet géopolitique de conflit externe », le premier terme sous-estime le choix (la décision) politique de Vladimir Poutine, les six autres remisent les gouvernements des « petits » Etats à n’être que des pions dans une sorte de partie de jeu de dames ou d’échec entre gouvernements des grandes puissances, sans oublier la négation de l’action propre des populations.



Tout aussi discutable la notion de « relation sui generis avec la Russie », sorte de négation des choix et des possibles au nom d’une lecture lissée d’un passé sans contradictions. Je ne sais ce que pourrais désigner « les intérêts russes et occidentaux » et leur caractérisation de « fondamentalement incompatible ». Cela semble supposer que toustes les citoyen·es vivant·es dans un Etat pourraient avoir les mêmes intérêts et que ces intérêts serait représentables par les Etats et les politiques des dirigeants. L’intérêts des membres des couches sociales dominantes ne sauraient représenter l’intérêt – s’il pouvait être ainsi défini – de l’ensemble ou de la majorité de la population. La guerre menée par le gouvernement russe contre les populations géorgiennes se transforme en « guerre russo-géorgienne », une formule mettant sur le même plan l’agresseur et les agressé·es. A noter que l’intervention militaire décidée par le gouvernement russe en Syrie, le soutien à la junte en Birmanie, sont omises (l’auteur parle cependant de guerre coloniale de Poutine en Tchétchénie) de même que les transactions commerciales internationales relevant souvent d’un néocolonialisme qui n’a rien à envier à celui des Etats-Unis ou de la France par exemple.



Je passe sur la lecture très impressionniste de Maïdan, sans oublier la soi-disant « emprise institutionnelle » de l’extreme-droite ukrainienne, l’idée de « désarroi de l’Etat » ou de « nationalisme russe blessé ». Dois-je une fois de plus souligner qu’un Etat n’est pas une personne, mais une construction sociale historique non indépendante des rapports et des conflits sociaux. L’auteur semble par ailleurs oublier que sans la résistance armée et non armée des ukrainien nes et sans les livraisons d’armes des gouvernements des pays adhérents à l’Otan, le sort des populations et de l’Etat ukrainien serait probablement scellé (au moins pour un temps). Enfin, je reste surpris que la seule référence évoquée à propos des conflits inter-impérialistes soit la première Guerre Mondiale dans l’oubli de la Seconde et des combats anti-coloniaux de libération nationale…



Le prisme de l’autodétermination des peuples. L’enjeu ukrainien

Catherine Samary revient sur l’affirmation de la création artificielle de l’Ukraine et l’idée d’un seul peuple de Vladimir Poutine. « Contre ce point de vue, l’axe principal de notre contribution est l’autodétermination du peuple ukrainien comme droit essentiel ». Des droits, des peuples, des unions forcées ou volontaires, des constructions historiques complexes.



« Mon point de départ sera ce que Poutine rejette : le choix de Lénine de baser la construction d’une union socialiste sur la reconnaissance de peuples souverains et égaux. Le choix de cet axe permet de nous écarter d’analyses géostratégiques relevant de grilles diverse qui ignorent les conflits sociaux au sein des grands ensembles retenus. La défense de l’autodétermination d’un peuple s’affirmant par des actes collectifs et luttes impose de retenir la distinction, soulignée par Lénine, entre nation dominante et peuple dominé et agressé qui se défend ».



Catherine Samary rappelle sa démarche ébauchée en 1999 face à la guerre au Kosovo et les annexions de 2014, un triangle analytique. Elle précise contre des positions dans la gauche internationale relevant d’un « ennemi principal » l’importance d’un « positionnement partant du soutien au droit d’autodétermination du peuple concerné ». Elle ajoute : « Quel que soit le jugement porté sur les alliances nouées pour défendre ce droit – et sur les intérêts spécifiques des puissances impliquées – le choix de préserver les conditions d’unions libres entre peuples égaux légitimait le soutien à la lutte du peuple opprimé ».



L’autrice propose des éléments historiques sur la fin de l’Urss, les thérapies de choc libérales, les mutations socio-politiques, le « partenariat » de la Russie avec l’Otan sous Boris Eltsine, l’unification allemande, la guerre en Yougoslavie, les positions et les interventions du gouvernement étasunien, le passé « tsariste et stalinien, non sans emprunts à l’orthodoxie religieuse et à divers courants conservateurs et théoriciens de l’Eurasie » et en pointillé « l’exigence d’une autre architecture, européenne et mondiale, des droits revendiqués et des aspirations égalitaires exprimées par la résistance ukrainienne » (en complément possible : Monique Chemillier-Gendreau : Guerre en Ukraine : « Le temps est venu d’imaginer une nouvelle organisation mondiale pour garantir la paix et la liberté des peuples », https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/08/16/guerre-en-ukraine-le-temps-est-venu-dimaginer-une-nouvelle-organisation-mondiale-pour-garantir-la-paix-et-la-liberte-des-peuples/)



Catherine Samary discute, entre autres, des « peuples et unions et expériences socialistes », des apports de Roman Rosdolsky (Friedrich Engels et les peuples « sans histoire ». La question nationale dans la révolution de 1848

https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2019/01/22/oppression-sociale-et-oppression-nationale/), des tensions internes au projet socialiste, « en particulier, comment concilier la reconnaissance de peuples souverains et les approches de classe centrées sur les prolétaires ? Ou comment les combiner avec des dimensions redistributives planifiées d’un projet d’union socio-économique visant à réduire des inégalités de développement entre régions recoupant aussi les peuples ? », des pratiques centralistes et répressives de Joseph Staline notamment en Ukraine dans les années 1930, des choix faits par les communistes yougoslaves, de la logique des « zones d’influence », de la notion « sécuritaire » et du soi-disant « droit de faire la guerre », du pouvoir russe comme agresseur et partie prenant de l’ordre impérialiste mondial « avec de nombreuses interdépendances, convergences d’intérêts et de conflits », du droit de résister…



L’autrice revient sur l’« opacité des choix dans le tournant de 1989-1991 », les privatisations capitalistes, les soulèvements anti-bureaucratiques auto-organisés, les aspirations populaires, les réformes et thérapies de choc, l’unification allemande, la nouvelle Union Européenne (« Les Etats-Unis cherchaient au contraire à empêcher une construction politique européenne indépendante »), l’agenda étasunien, le démantèlement de l’Urss, les dépendances, la corruption…



Elle insiste sur le fait qu’« il revient au peuple ukrainien de déterminer les conditions et le moment d’un cessez-le-feu et d’accords de paix », que la réévaluation des passés – tsariste, stalinien, nazi – ne peut se faire que librement, ce qui implique de s’opposer à la loi et aux pratiques de « décommunisation » comme le fait l’organisation Sotsialny Rukh tout en étant radicalement critique du passé stalinien et de ses héritiers actuels, le soutien à la demande ukrainienne d’adhésion à l’UE, l’annulation de la dette, l’importance des convois syndicaux et des appels féministes…

« il faut garder un horizon ouvert sur une société russe post-coloniale, qui aurait gagné, grâce à (et avec) la résistance ukrainienne, l’ouverture d’une nouvelle ère des relations internationales égalitaires »



Lénine a-t-il inventé l’Ukraine ? Poutine et les impasses du projet impérial russe

« Il ne s’agit rien de moins que de restaurer sa domination historique sur l’Ukraine, une région sans laquelle la Russie ne serait jamais devenue une grande puissance et cesserait d’être un Etat impérial s’étendant sur l’Europe et l’Asie ». Hanna Perekhoda explique que « ce n’est pas l’architecture européenne de sécurité de l’après-guerre froide qui est au coeur » des propos de Vladimir Poutine. Les idées développées par le président russe s’inscrivent « dans le cadre du récit national grand-russe ».



L’autrice revient sur les origines de l’idéologie néo-impériale de Vladimir Poutine, l’affirmation d’une identité ukrainienne comme « menace existentielle » pour les promoteurs du projet de (re)construction nationale russe, la négation historique des Ukrainiens, la Russie tsariste comme empire colonial, les politiques de russification, l’idée que « le passé médiéval commun, la parenté culturelle et la foi orthodoxe étaient des facteurs suffisants en soi pour que l’unité entre les Russes, les Ukrainiens et les Biélorusses se forge de manière spontanée et naturelle ».



Hanna Perekhoda interroge : « Lénine a-t-il inventé l’Ukraine ? » et analyse en détail le discours de Vladimir Poutine pour en dégager « les fondements idéologiques de sa décision d’envahir l’Ukraine », le grand récit historique dominant en Russie « profondément colonialiste », la domination hiérarchique sur la masse continentale eurasienne, les modèles de projets « civilisationnels », l’incapacité à évaluer correctement le terrain avant l’invasion, « Il faut admettre que ce fantasme inhérent au pouvoir colonial, selon lequel les peuples qu’il entend maintenir (ou ramener) sous sa tutelle sont par nature faibles ou inférieurs, a aveuglé Poutine et ses affidés au-delà de ce qui était prévisible », les entourages d’un président plus « loyaux » que « professionnels », les forces armées insuffisantes et peu préparées…



« Le processus de territorialisation, en d’autres termes, d’appropriation symbolique de l’espace par une communauté, est crucial pour comprendre comment l’Ukraine est passée du statut d’espace à celui de territoire ». L’autrice revient sur les années 1917-1922 : « les bolcheviks et l’inévitable décolonisation », le potentiel économique des provinces ukrainiennes de l’Empire tsariste, les effets de la « géographie mentale », la poussée des autonomies dans les régions non-russes, la répression des expressions du mouvement national ukrainien, l’horizon d’attente des membres du parti ouvrier social-démocrate de Russie, la proclamation de la République populaire ukrainienne par la Rada centrale, « En réalité, non seulement les sociaux-démocrates, mais aussi tout le milieu urbain russe et russifié, porteur d’une culture impériale, est pris au dépourvu par l’ampleur et la rapidité du réveil politique des Ukrainiens, dont les aspirations avaient été jusqu’alors méconnues et méprisées ».



La réalité nouvelle n’a pas été anticipée par les membres du parti bolchevik, « Une réalité nouvelle, les confronte à une contradiction évidente entre leurs ambitions politiques globales et les difficultés très concrètes et localisées auxquelles se heurte la révolution, en particulier liées aux enjeux coloniaux d’un empire en décomposition ».



J’ajoute que la question nationale est restée souvent un point aveugle dans les partis révolutionnaires d’hier comme d’aujourd’hui. Je ne sais si comme l’écrit l’autrice à propos de Lénine en 1922 « la nation serait une étape obligatoire dans le cheminement historique vers une société socialiste ». Toujours est-il que les manifestations polymorphes de la question nationale ne peuvent être considérées comme des vestiges du passé ou dissoutes dans un internationalisme-universalisme abstrait (lire par exemple, l’avant-propos à la réédition de l’ouvrage d’Otto Bauer : La question des nationalités, https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2017/05/01/avant-propos-a-la-reedition-de-louvrage-dotto-bauer-la-question-des-nationalites/). La culture russe de l’époque ne pouvait être considérée comme une culture universelle. Il en est de même aujourd’hui. Et cela vaut pour toutes les cultures. La notion de pluriversalisme me semble plus qu’utile. Fin de ce petit détour…



Hanna Perekhoda indique qu’« Il est donc bien évident que l’Etat ukrainien indépendant n’a pas été créé par les bolcheviks, mais contre les bolcheviks ». Les évolutions de Lénine ne sont pas négligeables, il opte « pour la principe de l’autodétermination nationale dans la construction de l’Urss ». Vladimir Poutine (comme d’autres) doit considérer que « les seuls acteurs doté d’une agentivité propre sont les chefs d’Etat » et le terme autodétermination pourrait être considéré de sa part comme une provocation « nazie » à la fois contre la nation et contre l’empire russe…



L’économie politique de l’Ukraine de 1991 à 2022 : régimes de propriété, politique institutionnelle et clivages identitaires

« Dans ce chapitre, je m’interrogerai sur les interactions entre des processus habituellement analysés séparément : la politique parlementaire, les attitudes et identités populaires, la privatisation, les politiques monétaires et redistributives, les marchés mondiaux et les évolutions géopolitiques ». Denys Gorbach aborde, entre autres, les inégalités spatiales, les legs historiques, la dynamique du capitalisme ukrainien, « Ce chapitre proposera une périodisation de l’économie politique ukrainienne. La première partie est consacré à la conjoncture de survie, qui a marqué la première décennie de l’histoire de l’Ukraine indépendante. La deuxième partie analyse la période de démocratie oligarchique, qui correspond aux années 2000. Enfin, la troisième vise à élucider les contradictions et le dynamisme de la période post-Maïdan, à partir de 2014. C’est en ayant pris connaissance de ce contexte compliqué qu’on peut comprendre la situation présente, les défis posés par l’invasion russe et la nature de la résistance. Le récit de ce chapitre s’arrête à la veille de l’invasion : tenter d’analyser la suite serait trop ambitieux pour le moment ».



J’invite à lire les analyses détaillées de l’auteur, en particulier la désintégration des chaînes de production et de distribution soviétiques, la dépendance aux hydrocarbures, les pactes clientélistes, la place du secteur informel, la transformation de « la classe atomisée de la bureaucratie industrielle » en une classe capitaliste, les privatisations dans un contexte de « configurations politico-criminelles », les manipulations juridiques, l’usage de la violence, les oligarques, les évolutions dans la structuration du camp politique, la question des identités ethnolinguistique, les mesures socio-économiques, la hausse de la consommation de biens importés, le passage « de l’autoritarisme collectif à une autocratie personnalisée », les ethno-nationalistes, la crise de l’Euromaïdan, la démocratie néopatrimoniale, la faiblesse des institutions, la résistance de la société civile ukrainienne aux accords de Minks, la composante « illibérale », les processus démographiques, une économie semi-périphérie dans un contexte de capitalisme à dynamique inégale et combinée, les pyramides de patronage, l’insertion dans les chaines de valeurs mondiales sans investissements dans « la modernisation économique et sociale », les contradictions entrainant des phénomènes de politisation et de dépolitisation.



L’auteur termine sur une interrogation : « La guerre actuelle pourra-t-elle apporter une nouvelle configuration politique stable ? Actuellement, c’est une possibilité : la mobilisation très large pour résister aux envahisseurs contient les germes d’un programme politique inclusif, fondé sur la redistribution des richesses et l’adhésion à l’UE, le programme peut ouvrir la voie à des transformations politiques progressives » et sur un diagnostic ouvert : « Mais l’élan de la résistance peut retomber dans le nationalisme exclusif et dangereux, surtout en cas de défaite de l’Ukraine. Le visage de l’Ukraine de demain se dessine aujourd’hui sur le champ de bataille »…



La société russe face à la guerre

Opération militaire de « dénazification », « le simple emploi du mot « guerre » sera même interdit, sous peine d’emprisonnement pour propos discréditant l’armée ». A noter que le refus d’employer le mot guerre est typique des menées guerrières colonialistes, rappelons-nous la phraséologie du colonialisme français refusant de parler de guerre d’Algérie.



« Une chose est sûre : la guerre déclarée par Poutine fait sombrer le pays dans un autoritarisme répressif dont les prémices étaient certes présentes depuis longtemps, mais qui va à l’encontre de la politisation croissance qu’expérimentait la population russe avant le début de la guerre »



Karine Clément aborde, entre autres, les fraudes électorales de 2011-2012, le tournant autoritaire, l’euphorie patriotique et l’enthousiasme émoussé après l’annexion de la Crimée, la dénonciation des inégalités sociales, la corruption des élites, la réforme néolibérale des retraites, la politique « ostentatoirement répressive », le changement radical constitué par la guerre « qui précipite le pays dans la voie d’un quasi-totalitarisme visant à l’anéantissement de toutes les poches d’autonomie de la société », la peur ou les peurs, les lois répressives, les solidarités et les réseaux d’entraide non étatique.



Elle souligne que le régime reste structurellement oligarchique « dans le sens où le pouvoir appartient à un petit groupe d’oligarques détenant les richesses de la nation et les postes clés dans les sphères économique, politique, médiatique, administrative et répressives », des clans oligarchiques, un fort néolibéralisme, un soutien gouvernemental au grand capital, un Etat grignoté par les intérêts privés, des inégalités sociales parmi les plus élevées au monde.



L’autrice parle aussi des intérêts économiques des oligarques russes en Ukraine, de l’histoire longue « de conflits militaires menés à l’étranger ou sur le territoire russe », de la Tchétchénie, de la Syrie, des effets différenciés de l’annexion de la Crimée et du Dombas, du renforcement « des positions du bloc militaro-répressif au sommet de l’Etat », d’obsession sécuritaire « profondément complotiste et antidémocratique : la capacité de se soulever, ou même de protester de leur propre initiative, est déniée aux citoyens ». Ce déni d’autonomie concerne aussi bien les russes que les Ukrainiens.



Karine Clément analyse la propagande patriotique et le sentiment national, les rapports différenciés à la nation (elle propose cinq type de rapports), l’opposition à la guerre, les actions publiques et l’activisme sur Internet la « soli
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