Kate Milie

Les cartes sont reliées à la structure féodale. Dans les cartes françaises, les "carreaux" renvoient aux bourgeois et à leurs demeures "carrelées"; les "piques" à la noblesse militaire, autrement dit, les gens d'armes; les "trèfles" aux richesses agricoles, donc le monde paysan et les "coeurs" aux hommes d'Eglise, les hommes du "choeur".

Les Années folles. Années folles ? Quelles Années folles ? En 1918, presque tout le monde est en deuil. 1920 porte le traumatisme de quatre années de massacre et de deux années de processions dans les cimetières et d'hommages aux "morts pour la patrie". Mais les hommes ne sont pas tous morts au champ d'honneur, au champ d'horreur. Les gazés, les estropiés, les invalides, les infirmes, les amputés, les gueules cassées, les naufragés neurologiques vont hanter la conscience collective jusqu'aux premiers bombardements de 1940. Après, ils disparaîtront des histoires qu'on murmure à voix très basse et de l'Histoire.

L'entre-deux-guerres est symbolisé par le plaisir. Le jazz a déferlé de New Orleans. Les dancings ont détrôné les bals de la Belle Epoque. Dans les sous-sols des cinémas ou des hôtels, les clubs se sont multipliés. Ce qu'on a dansé ! Ce qu'on a fait la fête ! Pour la première fois de l'humanité, toutes les classes sociales auront accès aux loisirs, aux divertissements, au sport, à la détente.

Cela fait plusieurs semaines que je rêve de "L'homme chancelant", une oeuvre enigmatique réalisée par Léon Spilliaert en 1908. Un homme, vu de dos, vêtu d'une redingote, coiffé d'un haut-de-forme, erre la nuit, en bord de mer, le long des majestueuses Galeries royales d'Ostende. Il semble tituber, tend une main hagarde vers les imposantes colonnes. Qui est cet homme ? Un noctambule égaré sur la digue après la fermeture des cabarets ? Un promeneur perdu ? Un être dévasté venu confier une douleur intenable à la mer ? Cette oeuvre abritée au musée d'Ixelles - fermé pour rénovation -, s'appelle La Nuit. Peu importe que je ne puisse pas la voir, j'irai partout où je pourrai rencontrer Léon Spilliaert et son univers envoûtant.

Elle se souvint d'une phrase de l'écrivain Philip Roth découverte lors de l'expo de l'artiste narrative Sophie Calle : "Voilà ce qui arrive quand on écrit des livres : ce n'est pas seulement qu'une force vous pousse à partir à la découverte des choses; une force vous les met sur votre route. Tout à coup, tous les chemins de traverse se mettent à converger vers votre obsession."