En finalité, je n’étais pas une personne à part entière, mais la réunion de plusieurs destins qui gravitaient autour d’un astre éteint : moi. Un soleil s’appliquait à réchauffer ma surface accidentée et quelques étoiles brillaient non loin de là. Ainsi, la vie émergeait à nouveau pour m’offrir les prémices d’un bonheur que je croyais perdu à jamais.
Et l’évidence s’était alors imposée d’elle-même : Legion. « Mon nom est Legion, parce que nous sommes nombreux », telle avait été la réponse d’un possédé à Dieu. Moi-même, j’avais été, d’une certaine manière, habitée par l’âme de mon homme. J’avais trouvé l’ironie parfaite, d’autant que cela ne changeait en rien l’initiale de mon prénom, ce dont je ne m’étais aperçue qu’au moment de créer mon tatouage.
— Pourquoi tu dis ça, insistai-je ?
— Peut-être parce que je commence à te connaître, maintenant. Quand tu as cette petite barre au milieu du front, c’est que tu t’es égarée quelque part là-dedans.
Je ne pus empêcher ladite barre de traverser mon visage lorsque je me tournai vers lui, séduite. L’une de ses mains n’avait pas lâché ma taille, l’autre tapotant mon crâne. J’en profitai pour attraper son visage entre mes mains.
Mon estomac se desserra légèrement. Il ne me tenait pas rigueur de mon geste, alors qu’à sa place, j’aurais peut-être bien légèrement tiqué. Quoique…
— Comment pourrais-je jamais te rendre tout ce que tu me donnes ? me libérai-je. Ce n’est ni équitable ni juste pour toi. Demande-moi au moins quelque chose en retour.
— Je ne veux rien de plus, Leaven, refusa-t-il avec sérieux. La seule exigence que je pourrais avoir reste que tu me dises la vérité. Toujours. S’il y a bien une chose que je ne tolère pas, c’est le mensonge. Tu penses pouvoir me l’accorder ?
— Oui. D’ailleurs, il faut que je te parle, mais j’ai peur que tu te mettes en colère.
— En colère ? Pourquoi je ferais ça ?
— Eh bien, ça a un rapport avec Stryker, me recroquevillai-je en jouant avec ma fourchette.
Son corps se raidit et sa mâchoire se durcit. Il reposa ses couverts de manière définitive en les croisant dans son assiette.
— Tu veux dire que…
— Je veux dire que.
— Mais alors pourquoi tu voudrais faire ça avec moi… si vite ?
— Tu me rends dingue, tu ne le vois pas ? Toi et moi, c’est différent de tout ce que j’ai connu.
Je le dévisageai un instant avant qu’un grand sourire béat ne fende mon visage. Chest m’embrassa une dernière fois, puis prit la direction de la sortie.
— De toute façon, tu finiras par dire oui, me garantit-il avec un clin d’œil.
— Ne sois pas si sûr de toi, le défiai-je, une main sur la hanche, tandis qu’il sortait sur le perron. Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, ma vie est un grand chantier actuellement, et pour être honnête, c’est pareil dans ma tête. Je ne veux pas que tout s’effondre d’un coup. Par ailleurs, je n’attends pas d’une relation qu’elle tourne uniquement autour du sexe.
Est-ce que j’avais vraiment formulé cette phrase ? Même Chest haussa les sourcils au moment où je prononçai les derniers mots. Mais j’avais besoin d’énoncer cette décision tout haut. Je voulais qu’il comprenne que je ne plaisantais pas. J’estimais qu’il était encore beaucoup trop tôt pour envisager de passer à la vitesse supérieure...
J’étais, bien évidemment, estomaquée devant la réaction de Stryker. Pour la deuxième fois consécutive, il m’avait laissée pour morte au milieu de nulle part. Si j’avais été assez gentille pour ne pas l’accuser indûment après ce qu’il s’était passé au stade, je ne me laisserais pas avoir à nouveau. Quelque part, je me sentais profondément égarée. Je ne comprenais rien à ce garçon, rien à sa manière d’agir ou de se comporter, ni à ses phrases à demi-mot. Tout chez lui n’était que pure contradiction, y compris les sentiments qu’il me faisait éprouver à son égard.
Honnêtement, je ne saisissais pas ce qui me poussait à aller vers lui et à vouloir comprendre ce qui m’échappait. Je n’arrivais d’ailleurs pas à me départir de cette idée absurde de secret dissimulé. Seulement, ce silence qu’il voulait constamment garder et ses explications plus déroutantes qu’autre chose renforçaient davantage ce sentiment.
Me revenaient également ses étranges paroles. « Tu ne vois donc pas que c’est moi qui te fais ça ? » Que voulait-il dire par-là ? Il ne m’avait pas touchée, j’en étais bien certaine. Alors qu’insinuait-il ?
Haussant les épaules, je me pris la tête entre les mains. Plus le temps passait, plus je me rendais compte que les derniers mois de ma vie se révélaient être une véritable mascarade. J’avais déjà été bernée à maintes reprises, et nul doute que cela se reproduirait encore. Seulement, en arriver à un tel stade de bêtise me sidérait. J’avais écouté tout ce que Chest avait déversé, comme s’il s’était agi de la sainte parole, n’envisageant à aucun moment de remettre ses propos en question.
En réalité, j’étais passée à côté de l’essentiel tout en plongeant ce qu’il restait de ma famille droit en Enfer, en m’isolant du reste du monde et en ignorant des signes évidents qui auraient pu me préserver. Aujourd’hui, je savais tout ou presque — quelque chose me disait que je n’avais pas fini d’en apprendre avec Ryke —, et ma vie était sur le point de prendre un nouveau tournant.
« Me bloquant contre un mur, Rayce engloba mon menton de sa main restée libre puis tourna légèrement ma tête vers la droite. Il colla ses lèvres à mon oreille–sa voix n’était plus qu’un souffle.
-Puisque tu es si intelligente, tu comprendras ce que je vais te dire. Explique bien à ton frère que si dans une semaine je n’ai pas mon fric, tu paiera les pots cassés.
J’écarquillai les yeux, tant sois l’effets de la peur que du désarroi. Finalement, les choses s’annonçaient encore pires que ce que jnavais imagine - tant pour Dane que pour moi d’ailleurs. Nous étions au stade final, au moment critique ou un retour en arrière n’était plus possible.
-Tu m’a bien compris ?
Je hochais la tête, mon courage m’avait quitté
-Et pour te prouver que je ne plaisante pas.. »
« Leaven,
Je comprendrais que tu ne veuilles même pas lire cet écrit, cependant je tenais quand même à m’excuser pour ce qui est arrivé hier soir. Je n’aurais pas du te pousser à bout, et crois moi, cela n’arrivera plus.
J’ai conscience que pour toi, les choses doivent être un peu confuses, pourtant j’ai besoin que tu fasses un effort et que tu acceptes ma demande de rester loin de moi. »
Je me pris tout à coup à espérer que j’étais en train de rêver. Oui, ça ne pouvait être que ça. J’étais en plein cauchemar et à mon réveil, tout irait pour le mieux. Je n’aurais plus sous les yeux le frère jumeau de Rayce. Je sortirais alors de mon lit, descendrais les escaliers et trouverais toute ma petite famille autour d’un bon petit-déjeuner. Malheureusement, mon bras où le sang ne circulait plus était la preuve tangible que tout cela était bien réel.
— C’est donc ça, réalisa-t-il en constatant que je ne bronchais pas. Bon, alors… tu seras certainement d’accord pour lui passer un message.
Terrifiée, j’écarquillai les yeux. Était-il devenu le sosie de Rayce à tous les niveaux ou avait-il encore conscience du bien et du mal ? Je n’eus pas besoin d’attendre très longtemps pour avoir ma réponse.
Être la tête de Turc d’un autre, être la risée d’une salle entière sur le simple claquement de doigts d’un autre. Eh bien, dans mon cas, cet autre — mon fléau —, c’était Ember Weyn, Miss Ragots en personne. Elle dégainait son téléphone portable plus vite que son ombre, toujours prête à prendre le cliché qui fout la honte et à le mettre immédiatement en ligne sur sa page Twitter, bien évidemment suivie par tous les lycéens. Ma seule consolation restait la dizaine de kilos en trop qu’elle traînait avec elle comme un boulet, ce qui ne l’empêchait pas de sortir avec le quarterback — bien que je me sois toujours demandé ce qu’il préférait chez elle, sa beauté ou sa fortune. Certes, cette fille était plutôt jolie, mais elle n’en restait pas moins… enrobée.
Tout cela commençait sérieusement à me mettre les nerfs en pelote. Jamais, au grand jamais, je n’avais rencontré une personne qui prenne soin de moi avec autant de sérieux, et surtout, aussi rapidement. J’avais l’impression que les choses allaient beaucoup trop vite entre nous, et pour une raison que je ne m’expliquais pas, cela me dérangeait. Précipiter les événements ne se révélait jamais bon. Malgré cela, je ne pouvais nier que sa protection était la bienvenue — ces derniers jours, je m’étais attiré pas mal d’ennuis, et non des moindres.