Il devait avoir au moins soixante ans, mais il faisait bien plus jeune avec ses cheveux épais, luisants, et sa peau dorée, comme caressée par le soleil. Jenny soupçonnait fortement le double miracle de la teinture et de l'autobronzant.
Pour un policier, tout le monde est suspect jusqu'à ce qu'on ait prouvé son innocence. Ce n'est qu'au tribunal que c'est tout le contraire.
À un certain âge, on a l'impression de ne plus avoir grand chose à découvrir chez les autres. Ou du moins, rien qu'on ait envie de savoir.
Jenny adorait l'odeur du papier journal fraîchement imprimé. L'odeur métallique, propre, de l'encre sur le papier doux, odeur qui s'estompait, comme les nouvelles, au fur et à mesure que la journée avançait.
Au-dessus de la Manche, le ciel était sans nuage. de maigres rais de soleil promettaient une belle journée de début de novembre. Une brise soutenue cinglait la mer, projetant par dessus le parapet un fin crachin sur le pare-brise de sa voiture.
— L’Église m’a sauvé de bien des choses. Mais on ne peut apprécier la foi que si on connaît le doute, Jennifer. De temps en temps, je doute. Et quand je doute, je bois.
Cela faisait partie du charme si particulier de l'île : tout le monde était au courant de tout. Vous trompiez votre conjoint ? Oubliez le dîner romantique au restaurant. vous seriez immédiatement repéré. Vous étiez ado et vous vouliez faire le mur ? Bonne chance ! Vous pouviez être sûr qu'un voisin, un professeur ou un parent d’élève allait vous voir et aussitôt prévenir votre famille. Vous étiez mineur et vous vouliez picoler ? Essayez donc d'entrer dans un bar avec une fausse carte d'identité quand le videur était un ami de votre père et savait pertinemment que vous n'aviez pas dix-huit ans ! Qu'on le veuille ou non Guernesey était un tout petit monde. On ne pouvait absolument rien faire discrètement.
Les cicatrices courent du pli de son coude jusqu'à son poignet. Elle en suit une du bout du doigt. Elle est d'un rose très pâle, maintenant. Presque argentée. Et très, très fine. Parce qu'elle ne s'entaille jamais profondément. Juste souvent.
Elle a les cheveux longs, bouclés, et elle aurait bien besoin d'un shampoing, alors elle se donne un bon coup de brosse et se fait une tresse qui descend sur son épaule. C'est mignon. Une coiffure de petite fille. Les garçons aiment bien ce genre de chose. Elle a lu ça dans un magazine. Il faut être assez jeune pour se le permettre. Jeune. Mince. Et jolie. Elle a la chance d'être les trois.
C'était Sheila. On a divorcé il y a, oh, ça doit bien faire treize ans maintenant. Elle s'est remariée et elle vit à Jersey. Elle m'a quitté pour un crapaud, pour ne rien arranger ! dit-il en utilisant le terme péjoratif dont les habitants de Guernesey se servaient souvent pour parler de leurs voisins de Jersey, mais il n'y avait pas d'amertume dans son rire.
Se répandaient en remerciements. À l’égard d’un homme décédé et de feu son gouvernement qui, vingt-neuf ans plus tôt, avait décidé de libérer les îles qu’il avait laissées se faire occuper par je-m’en-foutisme.
Personne ne semblait se rappeler ce détail. Du fait que Churchill les avait d’abord abandonnés, sans défense. Qu’il n’avait pas estimé utile de se battre pour eux. Qu’il était resté les bras croisés, à siroter son whisky et fumer ses cigares, laissant les Allemands s’emparer de ces "chères îles anglo-normandes".
Si chères qu’elles avaient été les seules terres britanniques à supporter, pendant des années, le bruit des bottes, les seules à voir leurs terres pillées, leurs femmes profanées. L’occupation n’était pas la faute des nazis.
La Grande-Bretagne méritait bien de perdre ses îles. Ces joyaux de la Couronne britannique n’attendaient que d’être volés.