Laura Lascarso

Dare avait pensé, à raison, que j’étais le seul élève du lycée qui n’aurait rien de mieux à faire de mes soirées, pour les trois week-ends de représentations. En retour, j’ai eu un béguin sans espoir pour le mec le plus charismatique et le plus populaire de notre école.
Correction : le deuxième mec le plus populaire. Le premier, c’était Mason Chalmers, son jumeau, et le roi du bal de rentrée.
Les professeurs du lycée Eastview avaient attribué aux jumeaux diablement attirants les doux surnoms de Fourbe et de Chaos. Cependant, ils se ressemblaient si peu qu’il était facile d’oublier leur lien familial. Ils étaient issus d’une lignée irlandaise, à la peau olive et aux traits sombres. Dare était grand et élancé, avec un visage expressif, pouvant passer de la tragédie à la comédie en un clignement de cils. Mason était un peu plus réservé. Il avait à peu près la même stature que moi, et des cheveux blond cendré coupés en brosse. Mason était absolument hétéro, ce qui était dommage vu comme il remplissait bien son body de lutteur, tandis que Dare…
Dare était une énigme.

— Pourquoi n’es-tu pas dans ta chambre ? s’enquit-elle.
— Dare y est.
— Dare Chalmers ? demanda-t-elle dans un chuchotement qui ressemblait plus à un cri.
— Il avait besoin d’un endroit où dormir. Il ne voulait pas rentrer chez lui.
Maman s’assit sur la table basse, ses genoux cognant contre le canapé. Même si elle baissait la voix, elle ne retenait pas ses gestes.
— Charlie, qu’est-ce que je t’ai dit ? Nous menons une enquête pour meurtre, et Dare est un suspect.
— Ce n’était pas lui, maman, dis-je d’une voix fatiguée en me frottant les yeux.
— Tu ne peux pas le savoir, insista-t-elle. Les gens mentent, Charlie. Ils trichent et ils cachent des choses, de grosses choses.
Elle s’arrêta là. Je me demandai si nous parlions encore de Dare, ou si elle faisait référence à mon père.
Je ne voulais pas me disputer avec elle. Jusqu’à ce qu’elle trouve un autre suspect, ma mère allait supposer que Dare était coupable. Je ne pouvais pas blâmer son instinct maternel de vouloir me protéger, et même si j’enfreignais l’une de mes propres règles, mon instinct me disait que Dare était innocent.

Une jeune femme en tenue à la fois professionnelle et décontractée et portant des cuissardes restait près d’elle pour prendre des notes. Habituellement, c’était mon travail, et je devais bien admettre que cela piquait un peu. Pendant ce temps, la police scientifique travaillait en concert, à la recherche d’empreintes sur les poignées des portières, le hayon, les côtés ou encore le toit du pick-up. Ils remplirent des fioles et prélevèrent des échantillons. Je me tins aussi près que possible et pris mes propres notes. Le pick-up semblait pencher d’un côté, bien qu’il soit compliqué de dire si cela venait du véhicule ou du sol marécageux.
Lorsque les techniciens se décidèrent enfin à ouvrir la portière côté conducteur, de l’eau jaillit hors de l’habitacle, emportant un objet sphérique. Au début, je crus que ce n’était qu’un ballon de foot.
Ce n’était pas ça.
Mon estomac se retourna, et je dus combattre ma soudaine envie de vomir. Ma première pensée fut de vérifier que Dare n’avait rien vu.

Je ne savais pas si je sentais le rythme, mais je sentais clairement un gonflement dans mon pantalon, ce qui rendait plus compliqué de me concentrer sur quoi que ce soit d’autre que le désir insatiable d’être nu et seul avec lui. Dare le remarqua lorsque nos corps s’effleurèrent. Il sourit, séducteur.
— Je peux t’embrasser encore, Charlie ?
— Ici ? m’étonnai-je.
Il hocha la tête.
Je passai la langue sur mes lèvres alors qu’il emprisonnait ma nuque dans sa main pour me rapprocher de lui. Je cessai probablement tout mouvement lorsque la bouche de Dare se posa sur la mienne. Autour de nous, les pom-pom girls acclamèrent notre baiser, mais j’occultai totalement leur présence, seulement conscient des lèvres chaudes de Dare, de sa langue qui se mouvait agréablement contre la mienne, et des battements de mon cœur qui résonnaient dans ma gorge. Pour un instant, je ne me sentis plus banal ou peu mémorable. Lorsque Dare m’embrassait, je me sentais extraordinaire.

— Es-tu gay ? demandai-je pour détourner l’attention de moi.
— Probablement, répondit-il en haussant les épaules.
Cela me frustra un peu, parce qu’il ne pouvait même pas m’assurer de ça.
— Eh bien, ça change tout, reprit Dare.
J’allais lui demander ce qu’il voulait dire lorsqu’il se retourna pour avancer vers moi.
— Tu as déjà eu un petit ami ?
— Non, admis-je.
— Tu as déjà embrassé quelqu’un ?
Je déglutis difficilement, un peu embarrassé.
— Non.
— Eh bien, c’est ridicule ! s’exclama-t-il, l’air presque en colère à cette idée.
Je ne voulais pas de la pitié de Dare. Il y avait sûrement au moins une personne quelque part qui me trouvait désirable. Peut-être pas au lycée Eastview, mais le monde s’étendait bien plus loin qu’à notre lycée, ou même qu’à Gainesville. Je pouvais attendre.

Je passai mon week-end à faire ce que font tous les adolescents en plein milieu d’une enquête pour homicide : je préparai un tableau. Mason Chalmers se trouvait au centre, entouré de ses amis les plus proches et de ses relations amoureuses. Je notai un X à côté de ceux dont les alibis étaient confirmés : Peter Orr, Joey Pikramenos et Clayton Benson. Les alibis de Mlle Sparrow et de l’entraîneur Gundry seraient probablement bientôt confirmés également, ce qui ne me laissait que Daniela et Dare.

Mon psychologue était génial. J’avais vu le Dr. Rangala une fois toutes les deux semaines pendant les cinq dernières années. J’avais pleuré dans son cabinet plus de fois que je ne pouvais compter. Pendant un an, j’avais même eu un léger coup de cœur pour lui. Peu m’importait qu’il soit hétéro, marié, bien plus vieux que moi et pas du tout intéressé. Heureusement, cela avait fini par passer.