La belle et heureuse unité familiale du temps des guerres d'Israël s'était fissurée et je me demandais ce que, dans ces conditions, signifiait "être issu d'une famille juive". Cela voulait dire l'idée des morts, des survivants dispersés dans le monde et un peu d'étrangeté vis-à-vis de moi-même. Voilà ce que j'ai reçu en héritage. Ma psychanalyste m'a dit un jour :
- Vous êtes comme un grand navire qui a largué les amarres mais dont l'ancre n'a pas été relevée et racle en permanence le fond de la mer. Cette ancre, c'est votre identité que, sans cesse, vous avez à tirer.
Comment à la fois progresser sur une mer d'espérance sans retourner inlassablement sur cette terre de souffrance et avancer dans ce monde avec pour seule boussole mon innocence perdue, le silence des vivants et la mémoire des disparus ?
C'est grâce à lui si je m'étonne de la richesse et de la puissance des mots, de leur justesse, de leur simplicité, de leur pouvoir d'évocation et d'imagination déconcertant et sans frontières, de leur secours pour exprimer une pensée qui, sans eux, serait gelée. Je suis séduit par leur fulgurance, leurs nervures, leurs accents, au point parfois d'arrêter ma lecture pour en goûter l'intensité et la beauté. Je pose alors mon livre, troublé par leur violence ou leur douceur, leur poésie, leur à-propos. Puis je reviens à la page ou à la phrase qui m'a plongé dans une rêverie et une humeur d'une douce fantaisie.
Je te nomme, mon nom, avec reconnaissance et sans douleur, avec honneur et dignité et sans hésitation. Je te prononce après tant d'années d'absence et de silence. Je te sors du fond de ma conscience, cher lourd secret de mon enfance. A treize ans, je pousse le cri de ma deuxième naissance.
Est-ce les livres qui changent nos vies ou bien nos vies qui changent les livres ?
Est-ce les livres qui changent nos vies ou bien nos vies qui changent les livres ?
En ne disant pratiquement rien, ils ont cru nous protéger. (...) Parler aurait transmis l'horreur. Se taire a diffusé l'angoisse.
(...) nous ne pouvons donner à nos enfants que deux choses : des racines et des ailes.