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Citation de hcdahlem


Ses lèvres se retroussèrent en babines et ses dents, plantées en petites rangées acérées, semblèrent prêtes à mordre Grisha. Celle-ci demeura immobile. Les deux femmes se jaugèrent. Puis Kolia déposa les fruits dans sa robe et, quand elle eut fini, attrapa une pomme. Lorsqu’elle mordit dedans, le jus coula le long de son menton, dégoulina dans son cou, sur son ventre et son sexe pour finir dans l’eau, traçant un chemin de désir qui disparut dans le courant. L’insolente beauté provoquait la vieillesse. Grisha continua à la dévisager avec froideur. Au début du troisième mois, l’aïeule attendit, à découvert devant le mélèze. Kolia remontait le cours de l’eau et s’arrêta au niveau du panier. Elle observa un moment la vieille qui n’était pas à sa place habituelle puis, après quelques secondes, prit les fruits et s’en alla. Cela dura trente jours. Le quatrième mois, la vieille Grisha resta à mi-chemin. Le cinquième, à quelques pas. Chaque mois elle se rapprochait, jusqu’au neuvième où elle se posta à côté du panier. Kolia finit par arriver, son ventre distendu par la grossesse aussi ferme que la peau des fruits.
Les deux femmes se trouvaient si proches qu’elles auraient pu se toucher. Mais ni l’une ni l’autre ne s’y risquèrent. Et chaque jour de ce dernier mois elles se contentèrent de rester l’une et l’autre à portée de main, s’examinant avec défiance. Kolia glougloutait en avalant les pommes et Grisha, dont le corps était devenu sec, contemplait sa voracité. Qui les eût aperçues de loin eût pu croire à une mère venant nourrir sa fille. Car au terme de ces neuf mois, on pouvait dire que les deux femmes s’étaient inextricablement liées, chacune ayant fini par apprivoiser l’autre. Un matin, Kolia laissa sur son passage une trace de sang.
Elle était à terme. La vieille l’assista dans son travail d’accouchement.
L’enfant que la jeune femme avait gorgé de fruits avait tellement grossi qu’il ne passait pas. C’est dans un terrible hurlement de cascade qu’elle parvint à l’expulser, se déchirant les chairs, et le sang coula tellement qu’elle se vida. Le liquide serpentait entre les herbes et forma des rigoles jusqu’à la rivière. De stupeur, la vieille lâcha le nourrisson qui rebondit sur le sol et finit à plat dans l’herbe, absorbé par le spectacle du corps de sa mère se dévidant dans les flots. Bientôt il ne resta d’elle qu’une flaque de terre et de placenta.
Dans les mois qui suivirent, un immense pommier poussa à cet emplacement, dans lequel l’enfant allait aimer grimper pour se repaître des fruits à même les branches. Grisha l’éleva jusqu’à ses quinze ans. Elle le nourrit et le soigna, le laissa grandir au milieu de la forêt, confiant le soin de son éducation à la nature dont il était fils, né de Kolia Ivanenka, femme poisson et de Tochko Tochkovitch, créature de la montagne. L’enfant avait si bien appris les leçons des arbres et des animaux que certaines nuits il ne rentrait pas, gîtant comme les bêtes dans leur terrier. La vieille laissa faire. Y compris lorsqu’il décida de partir vers les sommets chercher cette ourse qu’il avait aperçue au cours d’une de ses chasses. C’est ainsi
qu’Igor prit le chemin des kerns. 
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