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Citation de hcdahlem


Quand les ours en peluche n’étaient pas manchots, il leur manquait une patte. En fouillant, on pouvait trouver des membres de marionnette arrachés, une tête dévissée, des roues sans carrosse. Le placard avait l’allure d’un cimetière de jouets. Grisha y serait en sécurité. Elle s’endormit profondément après s’être aménagé une couche au milieu des vieilles peluches éventrées. Quelqu’un finit par lui tirer la manche pour la réveiller. C’était le petit Youri, pas plus haut que trois pommes.
Un Va-au-Diable. Toujours avec son filet de morve qui lui pendait au nez. Ni la présence de Grisha dans le placard, pas plus que son ventre rond ne retinrent son attention. Il voulait seulement attraper la carriole en bois sur laquelle Grisha avait posé son bras. Elle lui caressa la tête et lui tendit l’objet. Avant de le lui remettre, elle posa son index sur sa bouche. Aucun adulte ne devait savoir qu’elle était là. Ce serait leur secret.
C’est ainsi que Grisha passa les derniers mois de sa grossesse enfermée dans l’armoire à jeux de l’orphelinat. La nouvelle circula vite parmi les enfants qui s’organisèrent pour lui apporter régulièrement à boire et à manger. Tromper l’attention des surveillants devint un véritable défi. Les plus grands profitaient des jours où les assiettes étaient bien remplies pour glisser de la nourriture dans leurs poches. Un bout de pain, un morceau de viande. Les portions n’étaient pas copieuses mais suffisaient. Ils chargeaient ensuite les petits de faire semblant d’aller chercher un jouet pour apporter le tout à Grisha. Le placard devint son nid, les orphelins sa famille. Jamais les gouvernantes ne soupçonnèrent quoi que ce soit. La nuit, elle sortait se dégourdir les jambes.
Un matin du neuvième mois, Grisha ressentit de violentes douleurs. Un liquide transparent s’écoula entre ses jambes. Elle tenta autant que possible de ne pas crier mais les contractions étaient si fortes qu’elle ne put se retenir. Un hurlement parvint aux oreilles des gouvernantes. Elles accoururent, suivies par les enfants. Grisha était allongée dans le placard, les jambes écartées, le lit de peluches barbouillé de sang. Quand les gouvernantes la reconnurent, une violente dispute éclata. Qu’allait-on faire? L’aider à accoucher ? Ne rien dire à la famille? Non, c’était trop risqué. On devait la chasser au plus vite! Un cri coupa court aux débats, lacérant l’air et les tympans. Grisha sentit sa chair se déchirer, un poids tomber de son ventre. Le bébé était né. Elle le prit dans ses bras, à moitié consciente. Voyant cela, les petits, Miraculés et Va-au-Diable, se mirent à applaudir mais Grisha ne les entendit pas. Un son strident, venu de loin, couvrit leurs acclamations. Elle avait beau se boucher les oreilles, le sifflement s’amplifiait. On courut aux fenêtres. Des oiseaux de feu traversaient le ciel. On n’avait jamais vu de bombardiers dans la région. Les gouvernantes oublièrent Grisha, les orphelins et tout le reste. Il fallait rentrer chez soi au plus vite, sauver les siens. (p. 106-107)
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