Léaly Morgane

Elle ne voulait aucunement de ma politesse, elle désirait simplement que je vienne chercher ma mise en garde. Elle aurait pu me faire bien pire quand on sait vraiment de quoi elle était capable. Pourtant, sa violence ne me faisait aucun effet. Tous les coups qu’elle aurait pu me donner ce soir-là n’auraient été rien par rapport à la douleur que je ressentais au plus profond de moi. Mon cœur était meurtri.
Cependant, elle avait ce qu’elle voulait, elle me faisait taire.

Lorsque je suis chez eux, elle s’arrange pour m’éviter au maximum en s’affairant dans une autre pièce. Elle connaît mon passé et fait partie de ces personnes qui n’ont pas compris ma réaction et mon comportement. Elle entre dans cette catégorie de gens qui me jugent sans me demander ma version des faits. Pour elle, je suis un monstre et je ne peux pas vraiment la contredire. Elle déteste me voir chez eux. Elle me supporte uniquement parce qu’elle n’a pas le choix.

Un samedi après-midi, j’allai le voir à son match de foot.
Dès que je le pouvais, j’assistais à toutes ses rencontres à domicile. Cette fois-ci, contrairement à d’habitude, je ne m’assis pas dans les tribunes se situant derrière le banc de l’équipe. Je m’installai tout en haut des gradins, le plus près possible de la sortie, afin de passer inaperçu. Lorsqu’il marqua deux buts, mon cœur se serra. S’il continuait à jouer comme cela toute la saison, il se ferait repérer par un dirigeant de la plus grande école de football de la région. Ses rêves pourraient se réaliser. Je le voyais souvent se retourner vers la tribune où je m’installai à chaque match. Je pensais qu’il me cherchait des yeux, et mon regard était focalisé uniquement sur lui. Pourtant lorsque je vis qui était assis à ma place habituelle, cela m’a achevé. Emily, la blondasse. Il s’approcha d’elle à la mi-temps, elle l’enlaça. Il lui fit un petit sourire et l’embrassa furtivement avant de repartir sur le terrain. Je détournais mes yeux remplis de douleur pour éviter que nos regards ne se croisent. Le voir était déjà difficile, mais le voir avec une autre, c’était accablant.

Quel que soit ton style, conserve-le, ne change pour personne, ton corps t’appartient. À toi seule, à personne d’autre.
Oh, mais j’étais prête à lui offrir, sur un plateau d’argent. S’il voulait, je pourrais même tondre des formes telles que des cœurs ou des coquillages, lorsque cela repousserait. Un peu d’originalité n’a jamais tué personne.

J’aurais pu être une jolie fille si je m’étais développée comme les autres filles de mon âge et que de grosses et vilaines lunettes ne mangeaient pas la moitié de ma face. Pas les jolies à fines montures, non, non, les grosses avec des verres aussi épais que des culs-de-bouteilles. Vous vous rendez mieux compte, maintenant ? Vous ne vous trompez pas, la description est conforme et sans vices cachés : timide, réservée, pas sûre d’elle, et vraiment pas jolie avec mes longs cheveux raides, la frange qui barrait le front et les lorgnettes qui camouflaient le tout. C’est sûr qu’au niveau sociabilité et estime de soi, ce n’était pas très réjouissant, j’avais encore du boulot. Imaginez donc, arriver dans un nouvel établissement avec des tas d’inconnus plus âgés, et qui vous jugeaient au premier regard. Alors que j’avais déjà galéré à m’adapter au collège, je devais recommencer au lycée. Ce n’était pas gagné !

Son personnage féminin lui correspondait totalement, cela devait certainement être son autobiographie. Les traits physiques, le caractère, tout collait parfaitement à la jeune fille qui écrivait. Toute personne sensée aurait déjà refermé et rendu le cahier à son propriétaire. Mais j’étais curieux de savoir ce qu’elle avait pu faire, ou projetait de faire. Avec qui, m’importait peu. Arrivé au passage de sa rencontre avec le gars, je passai les pages en cherchant le moment où cela deviendrait intéressant, jusqu’au moment où je tombai sur des dialogues. Certaines phrases me semblaient familières, elle devait puiser ses idées dans des conversations de tous les jours, celles que nous avons pues avoir, celles avec ses amies. Il y avait des paragraphes très chauds, où il la prenait sur une table, ou à même le sol. Si elle savait comme c’est inconfortable !

Il faut dire que j’ai toujours été beau gosse, avec mes cheveux châtain clair et mes yeux marron doré, j’ai du style, sans prétention de ma part. J’ai dû, par la force des choses, abandonner tous mes rêves d’avenir. Le travail parfait dont j’ai toujours rêvé. J’avais une carrière prometteuse devant moi dans mon domaine de prédilection :le football et le bonheur d’une petite vie de famille idéale avec une femme parfaite, à mon image. Ce dernier songe a vraiment été éphémère et, pourtant, il a changé ma vie à jamais. Lorsque j’ai enfin été prêt à me consacrer au grand amour, celui-ci m’a été arraché. Littéralement, par la force des choses et cela n’a rien à voir avec une simple rupture difficile à encaisser et à oublier.

— Si je te croise à nouveau, Audric, considère-toi comme mort, articulé-je avec peine.
Je jette un dernier coup d’œil à mon ennemi, à présent assis sur le sol, à bout de souffle. Son regard est différent, il n’est plus meurtrier comme lorsque nous avons commencé notre danse macabre. Il semble inquiet, lui-même ne comprend pas ce qu’il vient de se passer. Je me retourne pour partir, lorsqu’il me répond, haletant :
— Je te poursuivrai, jusqu’en enfer s’il le faut. Je t’en fais la promesse.
Je perçois une émotion, un voile de peine dans ses mots, comme si cette déclaration le blessait intérieurement. Je ne veux pas connaître ce qu’il cache au fond de lui, même si je ne doute pas de sa sincérité.
Je fuis.

Je n’ai pas choisi de partir, j’y ai été contraint, par la force des choses. Petit à petit, j’ai constaté que les personnes sur qui nous pouvions compter étaient rares et celles qui nous jugent, très nombreuses.

Aussi loin que je me souvienne, on m’a souvent blessée, ignorée, humiliée, vexée, au point que je suis devenue totalement amère et asociale.
Certains diront que j’étais une personne méchante, bizarre ou spéciale. Certains pensaient me connaître, alors qu’au fond, je ne me connaissais pas moi-même. J’avais appris à ne jamais montrer en public mes émotions, mais cela ne voulait pas dire qu’au fond, je ne ressentais rien. Sous ma carapace dure comme l’acier, il ne restait que des fragments, tout était brisé de l’intérieur.