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Citation de Charybde2


Ils sont venus me chercher au bout de dix-neuf jours. Le deuil des Malaikas se déroule en privé, on pleure chez soi, sans témoin. Mais l’appel à la vengeance se fait toujours en public. Les hommes de Maalik ont pris possession d’un bar à touristes en centre-ville et en ont délogé la clientèle. Dehors, un escadron de police veille à ce que la cérémonie ne soit pas interrompue, à ce qu’elle ne déborde pas dans la rue. Des dizaines de Yirmizenès sont massés devant le débit de boissons, tendus, en colère.
À l’intérieur, Maalik, couvert de crasse, les cheveux poisseux, les yeux rougis, se tient torse nu au centre de la salle, buvant à grandes goulées. Ses lieutenants et deux phalanges de sept hommes l’entourent, déjà ivres, à chanter pour le mort : pleurs sur sa vie perdue et clameurs de revanche. Dehors, on joue de l’épaule pour apercevoir ce qui se passe à travers la vitrine.
La première chose qu’ils brisent, c’est le grand miroir derrière le zinc ; Mehmet balance un tabouret en travers et le reflet des Malaikas éclate ; une clameur monte de la rue. La foule hurle le nom du défunt pendant que les hommes de Maalik détruisent méthodiquement bouteilles et verres, tables et chaises, arrachent les éclairages des plafonds, lacèrent les murs tendus de toile à coups de tessons. Je suis sur le chemin et on me déplace, on me jette dans un coin comme si j’étais un élément du mobilier. La décharge électrique qui naît à mon flanc et remonte jusqu’à mon épaule me signale que j’ai au moins une côte cassée. Et une putain de trouille.
Au milieu du chaos, immobile, Maalik pleure.
Je rampe.
Puis, chacun leur tour, ses fidèles se tournent vers lui et le frappent au visage. Il vacille sous les coups, ses traits se déforment d’ecchymoses, le sang se mêle à la morve, goutte de son menton. Il reste debout.
Maalik : « Nous sommes faits de lumière », hurle-t-il. « Maudits soient ceux qui face à la vérité détournent le visage ! Nous sommes les fils de Yirmi, nous n’acceptons la loi d’aucun homme, d’aucun dieu. Notre seule loi est la vérité, notre seule loi est la vengeance ! »
Dehors, on se bat avec la police et il est temps de tirer sa révérence. Parce que, alors que ce rituel terrible touche à sa fin, alors qu’on glisse un long couteau recourbé dans chacune des paumes de Maalik et que les premiers effluves de gaz lacrymogène fleurissent au ras des pavés, je vois quelque chose que je n’aurais jamais pensé voir, quelque chose qui me colle une frousse écœurante à m’en décoller la plèvre, à me donner des envies de sobriété.
Le putain de sourire de Maalik. (« Si ce n’est pas Byzance… »)
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