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Citation de armand7000


Le soir même, Anselme se glisse dans le lit conjugal. Le plus souvent, il dort dans son bureau, attenant à la chambre. Il aime être seul, pouvoir feuilleter le journal, fumer sa pipe à toute heure sans avoir de comptes à rendre et, surtout, profiter du silence. Victoire ne peut s’empêcher de caqueter. Il ne se doute pas qu’elle utilise ce babillage pour reculer l’instant de l’enchevêtrement immonde, comme elle l’appelle. Un mur de mots, un mur de son pour se protéger de la copulation. Parfois, elle y parvient. Elle l’abrutit tellement d’absurdités qu’il bat en retraite, et retourne d’un pas désabusé vers son bureau. Ce soir, elle n’y échappera pas, qu’elle parle ou ne parle pas.

Il entre dans la chambre, elle est assise à sa coiffeuse et brosse ses cheveux encore et encore. Gagner du temps. Elle frissonne quand il s’approche pour lui caresser la nuque.

« Que penses-tu de mon idée de tableau ? Tu es si belle. »

Le geste sur son cou se fait insistant.

« Ton idée est excellente ! Mais pourquoi dépenser tant d’argent alors que nous pourrions faire venir un photographe ? C’est ce qui se fait maintenant. »

Elle brosse, brosse, brosse sans se lasser.

« Une peinture traverse le temps. Ces photographies, on ne sait pas encore comment elles vieilliront. Et puis je veux que mon enfant puisse voir un tableau de sa mère. Un portrait dans toute ta splendeur.

— Quel enfant ?

— Celui qui viendra.

— Et s’il ne vient pas ? »

Le regard de Victoire s’assombrit. Pourquoi lui parle-t-il de cela ? Anselme réalise que la conversation prend une mauvaise tournure et qu’il risque, en la prolongeant, de gâcher son plaisir.

« Tes cheveux sont parfaitement coiffés. Allons nous coucher ! »

Il lui tend la main. En se levant, elle renverse le petit tabouret d’acajou. D’un geste nerveux, elle le ramasse. Il la regarde. Sous sa robe de chambre en soie rose nouée à la taille, une chemise de nuit ornée de dentelles et, en dessous, une petite chose à bretelles dont le nom lui échappe. Il connaît toutes ces épaisseurs. Il faut faire avec. Sa femme ne se dévêt jamais entièrement. Il ne l’a jamais vue nue, ne l’a jamais touchée complètement. Il hausse les épaules. Il ira à l’essentiel comme toujours. L’essentiel se situant entre ses cuisses, qu’elle rechigne à écarter, il lui faut toujours forcer un peu. Et quand, enfin, au milieu des draps, de la soie, des dentelles, des fioritures, de la petite chose sans nom relevée jusqu’au nombril, il arrive à entrer en elle, tout va très vite. Il jouit aussitôt comme pour s’excuser de cette intrusion, pour que le silence dans lequel elle s’est soudain murée s’arrête, pour qu’elle reprenne son babillage si réconfortant.

Ce soir, tout est pareil. Leurs corps froissent le C de Champfleuri et le B de Boisvaillant entrelacés, patiemment brodés lorsqu’elle confectionnait son trousseau. Un espoir d’amour qui lentement s’est mué en désillusion.

Après l’avoir possédée, Anselme se lève prestement. Il n’aime pas rester là à attendre que le silence s’épuise. Alors, il l’embrasse sur le front et, tout en se dirigeant vers son bureau, lui souhaite une bonne nuit.

« Bon repos, ma chérie. Beaucoup de repos... »

Elle le remercie, arrange d’un tour de main sa chemise de nuit, et s’endort aussitôt.
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