Je vous écris sur un tronc d'arbre, dans la solitude mélodieuse des bois. J'ai pour compagnons l'aimable propriétaire de l'hôtel de Tadoussac. M. Fennall, le vieux Willy, un guide endurci dans mille excursions périlleuses, et une foule innombrable de moustiques qui me communiquent l'inspiration et la rage. Nous sommes partis pour visiter, à quinze milles dans l'intérieur, le premier lac poissonneux dont le vieux Willy a la garde. Tout autour de nous est la forêt, forêt de sapins, d'épinettes, de bouleaux, qui suit dans mille détours la chaîne abrupte des Laurentides ; de distance en distance, on aperçoit quelques espaces nus où poussent de maigres champs de blé, essais pénibles des premiers colons qui se sont établis dans ces solitudes. , Il fait chaud, je ne m'en plains pas, puisque c'est la première fois cette année ; l'atmosphère est pleine de molles caresses, et le soleil ruisselle parmi les feuilles encore chargées de la pluie des derniers jours. Nous suivons un chemin, ou plutôt un sentier tracé avec peine parmi les ronces, les arbres entrelacés dont les racines se croisent sous les pas, les troncs noircis, déchiquetés et comme frappés de la nature. Çà et là une chaumière isolée, faite de poutres brutes, à peine couverte d'un toit d'écorce où perce un tuyau brisé, s'échappe de la lisière du bois, et nous entendons les coups redoublés de la hache du défricheur et les craquements des arbres s'abattant sous sa main. ..
Si l'on doit entendre par poésie autre chose qu'un certain ramage qui plaît à l'oreille, si pour le poète, comme pour l'orateur, l'inspiration doit passer en première ligne, Le dernier Huron restera comme l'une des plus belles pages de notre littérature. Du reste, il y a de l'ampleur, du nombre et de l'harmonie dans la plupart de ces strophes qui tiennent à la fois de l'école classique et de l'école romantique.
Lorsqu'à vingt ans, on découvre, ébloui, ce que les siècles ont amassé dans le trésor des lettres françaises, et ce que chaque jour qui passe y ajoute, la littérature canadienne apparaît sous un jour plutôt terne, et l'on s'explique facilement que l'existence même d'une véritable littérature autochtone chez les Canadiens français, ait pu être parfois sérieusement discutée.