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Citation de Laumness


La mission du photographe est de clarifier l’objet. Cette objectivation et cette clarification sont importantes pour l’esprit. C'est sans doute le premier fait psychologique qui accompagne notre assimilation rationnelle de la machine. Voir tels qu'ils sont, comme si c'était pour la première fois, un bateau chargé d’émigrants, un arbre dans Madison Square Park, un nuage s’accrochant sur une montagne sombre, cela demande de la patience et de la compréhension. Généralement, nous faisons l’impasse sur ces objets, nous les schématisons, les associons à un besoin pratique ou les subordonnons à un désir immédiat. La photographie nous permet de les percevoir sous leur forme propre créée par la lumière, l’ombre et la pénombre. Ainsi, la bonne photographie est-elle la meilleure éducation vers un sens complet de la réalité. Restituer à l’œil, autrement si sollicité par les abstractions de l’imprimé, le stimulus des choses vues dans leur entièreté en tant que formes, couleurs, textures – ce qui exige une expérience préalable de la lumière et des ombres –, est un phénomène mécanique qui combat quelques-uns des pires défauts de notre environnement. C'est l’antithèse pleine d’espoir d’une sensibilité esthétique émasculée et isolée, le culte de la forme pure, qui tente de cacher au monde ce qui donne une forme et un sens à ses symboles les plus lointains.

Si la photographie est aujourd'hui [dans les années trente] redevenue populaire, après la première grande explosion, quelque peu sentimentale il est vrai, qu’elle connut vers 1880, c'est sans doute parce que, comme un malade recouvre la santé, nous découvrons un nouveau plaisir à exister, à voir, toucher, sentir ; parce que nous trouvons dans un environnement rural ou néotechnique le soleil et l’air pur nécessaires à la photographie, et parce que, nous aussi, nous avons enfin appris la leçon de Walt Whitman et reconsidéré avec respect le miracle des articulations de nos doigts ou la réalité d’un brun d’herbe. La photographie n’a pas moins de valeur quand elle traite de ces choses très simples. La dédaigner parce qu’elle ne peut atteindre ce que Le Greco, Rembrandt ou Le Tintoret ont atteint revient à dédaigner la science parce que sa conception du monde n'est pas comparable aux visions de Plotin ou à la mythologie hindoue. Sa vertu réside précisément dans le fait qu’elle a conquis une autre branche de la réalité, tout à fait différente. Car au fond, la photographie donne à l’éphémère et au transitoire l’effet de la permanence.

pp. 336-337
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