Lawrence Durrell à son tour succombe à la papesse Jeanne, qu'à l'exemple du cardinal de Jarry, il enlève à son auteur. Plutôt que de s'avouer simple traducteur du livre, Durrell fait paraître à Londres « La Papesse Jeanne » sous son nom, avec la mention « adapté de l'œuvre grecque de Royidis ». La traduction française ne parait qu'en 1972. Et la critique de s'interroger sur l'existence de Roïdis. Durrell n'aurait-il pas inventé cet écrivain au nom incongru pour rendre encore plus savoureuse la légende de la papesse ? Ne reconnaît-on pas dans ce « dernier livre de Durrell » l'érudition, l'esprit libertin, l'humour frondeur de l'auteur de « Justine »… ? Emmanuel Roïdis figure pourtant dans tous les manuels de littérature grecque moderne. Né à Syros en 1836, mort à Athènes en 1904, il avait même vécu en France sOUS la Commune, avait traduit Chateaubriand avant d'écrire (à vingt-cinq ans !) Cette « Papesse Jeanne » dont on ne cesse de vouloir le dépouiller.
Ainsi, autour de la légende d'une imposture, celle de la jeune Anglaise déguisée en moine qui parvient à se faire introniser pape, s'est écrit tout un roman de la contrebande littéraire, avec pour personnages un auteur obscur, un traducteur phagocyte et quelques lecteurs pressés.