Le patron m’a dit : « Vite, prends le premier avion pour Tanger, cette fois-ci, ça va barder pour de bon. » A peine arrivé au Maroc, une grosse déception m’attend : c’est le calme plat. Où sont les cadavres qui jonchent les rues ? Pas la moindre volute de gaz lacrymogènes à cause d’un violent Charki réactionnaire et valet du colonialisme, qui souffle dans la ville. Pas même une carcasse de voiture calcinée à se mettre sous l’objectif, j’en ai été réduit à photographier quelques crève-la-faim qui traînaillaient en sniffant la colle de rustine. Des banques saccagées ? Nos lecteurs en ont vu d’autres, on ne fait pas trois heures d’avion pour montrer un guichet détruit, Villeurbanne ou La Courneuve auraient suffi.
À l’hôtel quatre étoiles qui en vaut une, j’ai appris par les informations de Tele-Cinco qu’un haut fonctionnaire du ministère espagnol de la justice a été victime d’une lettre piégée qui lui a arraché trois doigts. Sans être troufion de Polytechnique, j’en ai déduit que ce magistrat s’est trouvé à deux doigts de perdre la main tout entière. Pauvre homme ! Que vaut un juge sans l’index accusateur ? Ah ! si seulement cet attentat s’était produit au Maroc ! Je vois d’ici le titre : « L’institution judiciaire marocaine gravement ébranlée à la suite d’une mystérieuse agression à l’explosif survenue en plein cœur de la capitale chérifienne. Un observateur qui a requis l’anonymat redoute une flambée de violence. » J’aurais eu mon scoop... Hélas, l’attentat, non, l’incident n’a eu lieu qu’en Espagne, capitale journalistique du bidonnage professionnel, bastion de la démocratie, de la sécurité et de la stabilité.