Vers 1630, au moment où Rembrandt s'installait à Amsterdam, où Spinoza venait d'y naître et où Descartes y habitait, elle était aussi riche de vie intellectuelle et politique que d'or et de marchandises, Mais de grands efforts avaient préparé cette fortune.
Une théorie qui se vérifie pour une école trouve d'autre part des faits qui la contredisent. S'il est vrai que l'art d'un peuple est nécessairement l'expression de son génie propre, et sil est un peuple dont ce soit le talent essentiel d'analyser l'âme humaine et de dresser le catalogue infini de ses variétés infinies, on remarquera que c'est dans le portrait, c'est-à-dire dans la manifestation plastique de ce talent psychologique, que l'art de ce peuple prendra naturellement son plus grand éclat et que l'époque où le portrait domine l'Ecole doit être tenue non pour une époque de décadence, mais pour une époque d'épanouissement.
Des considérations philosophiques, auxquelles on peut trouver d'illustres parrains, ont paru consacrer cette infériorité du portrait. Aux époques d'imagination opulente et de ferveur religieuse, aux époques où l'art apparaît comme l'expression spontanée d'une sensibilité collective, à quoi seul il peut donner la conscience de soi, il ne s'attarde pas aux minuties du portrait, aux gentillesses du paysage ou du genre. Il cherche à fixer sous une forme magnifique et populaire un rêve unanime. Il est l'ex-voto d'un peuple ou l'image de sa puissance, personnifiée dans le Prince ou le Héros national. Or, aux yeux du philosophe, l'art qui naît dans ces moments d'enthousiasme où les races croient à leur destinée et à leurs dieux, a plus de grandeur, une plus haute valeur humaine que celui qui, s'étant développé dans une civilisation critique et mercantile, s'ingénie dans l'analyse et, plutôt qu'un idéal commun, exprime la vision particulière qu'un artiste isolé a de l'univers et des hommes.
Le trait dominant de l'art aux Pays-Bas fut toujours un réalisme étroit et solide. Le mysticisme ardent et raffiné de certains gothiques lui-même cherche sa source dans l'observation directe de la vie et des objets familiers. La splendeur sensuelle de Rubens, comme la précieuse élégance de Van Dyck, ont leurs racines dans le spectacle quotidien d'une richesse marchande qui veut paraître et s'étaler. De nos jours enfin, le paysage et tous les petits genres réalistes sont infiniment plus brillants en Belgique que ce que l'on est convenu d'appeler « la grande peinture ».
Sa conception personnelle de l'art, aussi bien que ses moyens d'expression, contribuent donc à le situer hors cadre. Dans un livre récemment paru, un critique allemand, M. Richard Muther a cru voir en Fernand Khnopff « le rejeton au sang bleu de l'antique civilisation belge qui ne tire pas de la vie, mais de l'art des anciens, le parfum morbide et fané de ses œuvres». Étrange méconnaissance d'un tempérament national et d'une tradition auxquels l'oeuvre et la personnalité même de M. Khnopff font le plus frappant des contrastes.
Le goût, la vogue du portrait apparaissent alors comme un symptôme de décadence, comme une preuve que la force créatrice d'une école et d'un peuple est en train de décroître. Ingénieuse doctrine qui peut servir à justifier la décadence de l'art architectural et décoratif au temps où nous sommes.