Citations de Louis Lavelle (223)
On peut prouver facilement que le moi est la seule réalité au monde dont l’essence est de se faire. Il ressemble à la fois à l’oeuvre d’un artisan dans laquelle l’artisan ne ferait qu’un avec cette oeuvre même pendant qu’elle s’exécute, et à la croissance d’un être vivant, mais qui serait l’effet de la réflexion et du choix, et non plus seulement d’une aveugle spontanéité. Il semble difficile de dire qu’il est, puisqu’il n’y a rien de plus en lui que le passage incessant de ce qu’il était à ce qu’il va être : strictement, il est un pouvoir d’être plutôt qu’un être même.
Il n’y a pas de mot qui soit pour nous plus mystérieux ni plus émouvant que le mot conscience. Nous l’employons tour à tour pour désigner cette lumière qui nous rend présent à nous-même et au monde et aussi, en face d’une action que nous venons de faire ou que nous allons faire, ce sentiment qu’elle est bonne ou qu’elle est mauvaise, en rapport avec un ordre qu’elle ne peut que respecter ou violer.
D’une manière générale, le rôle de la couleur est d’arrêter le regard et par suite de faire naître la surface: le rôle de la lumière et par conséquent du transparent est de le laisser passer. La transparence pure, ce serait la lumière sans la couleur.
Le mot métaphysique évoque une recherche qui porte sur le secret même de l’existence et de la vie. Dans l’histoire de la pensée, elle se confond avec la philosophie elle-même ; cependant la métaphysique n’a point pour objet, comme le croient ses adversaires, de doubler le monde où nous sommes par un autre monde qui en serait le fondement - bien qu’il soit pour nous hors d’atteinte et que nous ne fassions que le supposer -, mais d’approfondir la signification de l’expérience, telle qu’elle nous est donnée, c’est-à-dire de la confronter avec les exigences subjectives de notre conscience, où se trouve l’origine de toutes les affirmations possibles à la fois sur l’existence et sur la signification de l’existence.
Toute activité de participation exprime la part d’être que nous sommes capables d’assumer et de faire nôtre : elle définit à la fois notre nature et notre liberté et fonde notre essence originale dans son rapport avec tout ce qui est.
Le corps porte en lui toutes les traces du passé, il les matérialise et les rend présentes. L’âme a toutes les servitudes du corps et elle est gouvernée par l’habitude.
Mais l’esprit est toujours jeune ; il ne dépend pas du passé ; nulle expérience ne le modifie ; et il revoit les mêmes choses dans une lumière toujours nouvelle.
La matière, c’est le passé, le déjà fait, l’obstacle, — le présent, c’est le moi, — et l’avenir, c’est l’infini encore indéterminé pour l’individu et où il s’épanche. Ainsi l’individu est borné par le déjà fait et attiré par le champ d’infini où son activité peut rejoindre l’être universel.
Les mythes, dit-on, tiennent lieu d’explication à l’enfant, à l’humanité primitive. Mais l’adulte substitue aux mythes les preuves qu’il demande à la raison, les vérifications qu’il demande à l’expérience. Il abandonne les mythes au poète. Car le poète regarde l’univers avec les yeux de l’enfant : il a le même goût pour les images, la même faculté d’émotion.
Rien n’est plus contraire à la vérité que l’opposition de la matière et de l’esprit. Mais la matière qui est le produit de l’intelligence, une sorte d’intelligence inerte, doit encore subir ses lois et les figurer, dès que la volonté de l’individu a à agir sur elle. Celui-ci trouve en elle à la fois un obstacle et un moyen ; et l’obstacle atteste seulement que l’individu est fini et qu’il n’est pas créateur.
La guerre est une fièvre. Malheur à ceux qui la font sans avoir cette fièvre.
Pour un système de la connaissance, le sujet doit venir à sa place comme objet dans l’ordre des existences réelles.
Tant s’en faut qu’il faille se plaindre de la sujétion où nous tient une grande misère comme la guerre et prétendre qu’elle empêche que nous nous livrions à la vie de l’esprit ; au contraire c’est en elle que la vie de l’esprit prend toute sa force et toute son ardeur.
La philosophie est de toutes les disciplines de l’esprit celle à laquelle nous demandons le plus et qui nous émeut le plus profondément. Quand on feint d’ignorer ce qu’elle est, c’est pour témoigner qu’elle n’a point d’objet propre, comme la grammaire ou la physique, et que nous ne pouvons la distinguer de notre vie elle-même dès qu’elle commence à s’interroger sur son propre destin.
La vérité est un acte vivant... on ne peut la trouver sans la produire en soi et sans inviter autrui à la produire aussi en lui-même. Elle se prouve par son efficacité, par la communication qu’elle établit entre nous et l’univers, entre nous et tous les autres êtres dans la connaissance du même univers.
La vérité ne peut jamais pénétrer que dans une conscience qui s’en montre digne.
S’il est vrai que la philosophie grecque a fondé une rationalité dans laquelle nous nous reconnaissons, elle soutenait toujours qu’un sujet ne pouvait avoir accès à la vérité à moins de réaliser d’abord sur lui un certain travail qui le rendrait susceptible de connaître la vérité. Le lien entre l’accès à la vérité et le travail d’élaboration de soi par soi est essentiel dans la pensée ancienne et dans la pensée esthétique
Il y a une vocation intellectuelle des différents peuples qui est comparable à celle des différents individus. Chacun d’eux occupe dans l’espace et dans le temps une position privilégiée, il possède un génie propre ; il réclame une mission historique qui lui donne des devoirs et qui élève jusqu’à l’absolu toutes ses aspirations. Rien n’est plus dangereux que la croyance à une telle mission lorsqu’elle se fonde sur un mysticisme ethnique ou religieux : car elle risque de recevoir une interprétation matérielle et de pousser une nation particulière à la domination temporelle de toute la terre ; tout peuple élu par Dieu doit tendre à anéantir les autres peuples ou à les réduire en esclavage.
La valeur suprême de notre vie dépend de l’art avec lequel nous savons reconnaître ces touches délicates, de la sincérité attentive avec laquelle nous voyons leur ondulation se propager jusque dans les régions les plus intimes de notre moi, de la fidélité avec laquelle nous retenons leur empreinte au lieu de la laisser dissiper.
Au cours d’une méditation, d’un entretien ou d’une lecture, il nous arrive de ressentir certaines touches qui ébranlent notre être secret et nous ouvrent un monde lumineux où les choses cessent de nous être étrangères, semblent acquérir avec nous une sorte d’affinité et répondre miraculeusement à nos aspirations essentielles.
Chacun de nous a une vocation qui lui est propre : il lui appartient de la découvrir et de la réaliser.