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Citation de jmlire92


Je courus en titubant vers la porte mais, avant de l'ouvrir, je me retournai. Elle était toujours assise, secouée par le fou rire, le visage inondé de larmes.

Autour d'elle se pressaient en cercle les clients qui riaient aussi aux éclats, une main sur la hanche, leur ventre chassé en avant et de côté, ravis sans doute de sortir enfin du silence où mon long discours les avait relégués et de donner libre cours à leur exaspération qui d'ailleurs ne s'exprimait en fin de compte que par une hilarité frénétique entrecoupée de glapissements aigus et de tape sur les cuisses. C'était un spectacle trop écœurant ! Dès que j'eus fermé la porte derrière moi, toute la salle s'emplit d'un staccato de voix semblable au tic-tac d'une mitrailleuse. Dans la rue, je me sentis d'abord heureux d'être sorti de cette salle surchauffée et bruyante. La neige avait durci et il faisait plus froid. Un froid qui pénétrait à travers les vêtements, à travers les pores dilatés par l'alcool et se glissait sournoisement jusqu'aux os. Les rues étaient désertes, les réverbères clairsemés et lointains. Les mains douillettement enfouies dans mes poches, le col de mon manteau relevé et boutonné sous le menton, je me glissai le long des murs en regardant avec prudence autour de moi et en prenant soin de me retourner de temps à autre pour m'assurer que je n'étais pas suivi. Au milieu de la chaussée vide, une ligne blanche allait s'amenuisant là-bas, en avant sur la surface blafarde et glacée de l'asphalte tigré de plaques neigeuses. Les rires et les éclats de voix parvenaient encore jusqu'à moi, lointains, assourdis par l'air ouaté, tissant une rumeur touffue que prolongeaient en sourdine les sons cuivrés de l'orchestre qui s'était remis à jouer. L'air froid me coupait le souffle, je fis halte un instant pour respirer, embrassant d'un coup d’œil satisfait la rue dans toute sa longueur bordée, à l'endroit où je m'étais arrêté, d'un côté par un long bâtiment bas dont la façade était constituée seulement par un mur blanc percé d'une immense porte aux lourd battants ouverts, tapi au fond d'un jardin grillé transformé en steppe neigeuse par la saison, de l'autre par une succession de petites maisons que rien ne distinguait sinon, si l'on veut, qu'elles étaient toutes de pierre et que leurs fenêtres étaient pourvues chacune d'un balcon de fer dont la neige qui s'étalait partout en couches minces faisait ressortir le dessin aux arabesques toutes rigoureusement identiques...

[...]Le souvenir de la salle enfumée et étouffante, l'éclairage brutal sous lequel se pressaient étroitement les danseurs, le rire vulgaire de cette femme..., enfin tout cet aspect de fête populaire dont je me délectais quelques instants auparavant ne rendaient que plus vif le plaisir que j'éprouvais maintenant à contempler ce paysage immobile, glacial et silencieux où j'étais seul...
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