N’est-ce pas émouvant de découvrir dans un laboratoire, avec tout l’attirail de la science moderne, un petit dieu olympien parmi les bacilles ?
Ainsi les savants retardent sur les poètes qui, trente siècles plus tôt, avaient déjà dépisté et dénoncé l’enfant criminel, armé de flèches…
Le meurtrier de l’âme… c’est l’Amour.
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Au tranquille quartier numéro trois, j’avais rencontré les types classiques du persécuté, du raisonneur, de l’halluciné, de l’asthénique, du maniaque, du délirant et de l’obsédé. Mais je n’en avais rien appris ; je n’avais observé que les apparences. J’avais vu des fous, et maintenant je voudrais voir… comprendre… la folie !
– Avec votre raison ?
– Oui, docteur, avec ma raison.
– Il y avait un enfant, sourit M. Courtois, qui voulait vider l’océan avec une coquille de noix…
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C’est en 1928 que la doctoresse Pascal tenta se première expérience de « psychanalyse ».
Certains stupéfiants, pensa-t-elle, comme le haschich, la cocaïne, l’éther, provoquent chez un être lucide une courte folie. Ne pourraient-ils pas déterminer chez un fou une courte lucidité ?
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Suite :
En agissant avec prudence, sans exagérer les doses supportables à l'organisme, que risquait-on?
Ainsi fut tentée l'ascension dans la stratosphère…les prévisions de la savante se trouvèrent réalisées.
Entre la démence et la raison, Melle Pascal dut supprimer les barrages : le mutisme, l'autisme, l'hostilité, l'incohérence. Chacune des agitées du 4e pavillon était bloquée dans son délire. On obtint pendant quelques heures un "déblocage ".En quatre ans, la méthode put être perfectionnée. On étudia le dosage de la drogue miraculeuse, la direction de l'analyse psychique. On utilisa isolément ou en combinaison, l'éther, le protoxyde d'azote, la strychnine, la cocaïne, le haschich, le peyotl comme agents d'exploration.(…)la première dose de stupéfiant éclairait l'âme d'une lueur trop faible ; nous pénétrions dans un délire-labyrinthe, sans fil conducteur. On allait de galeries en galeries. En modifiant la drogue ou en la forçant on parvenait à illuminer le souterrain et à découvrir, enfin, dans sa cachette la mieux défendue, le petit assassin Cupidon.
– Ce n’est pas un rapport, mais une pétition. J’ai recueilli cinq signatures.
– De quoi vous plaignez-vous ?
– Primo, de ne pouvoir dormir. Germain a radoté toute la nuit. Gorvieux est indécent, il va d’un lit à l’autre, s’assied sur nos pieds et fait un bruit du diable. Toutes les fois que vous donnez du bromure à Marot, au lieu de l’assoupir, ça le fait chanter… Enfin, vous trouverez tout ça dans la pétition. Nous sommes des citoyens comme les autres, malgré notre qualité péjorative d’aliéné, et nous revendiquons notre droit au sommeil nocturne.
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Hormis cinq ou six amateurs de cartes ou d’échecs, chacun ici est isolé. Cent cinquante insociables ne peuvent former une société. Cette foule est une solitude.
Les rares paroles ne sont pas échangées avec un compagnon. Celui qui les prononce n’a de conversation qu’avec lui-même. Bien que leurs lits se touchent au dortoir et leurs coudes au réfectoire, ils vivent, chacun dans sa planète, séparés les uns des autres par de cosmographiques espaces.
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Les infirmiers de Saint Joseph n’avaient pas lu le Manuel technique de Mignot-Marchand :
« Les moyens de contention, écrivent les excellents praticiens, sont nuisibles aux malades ; ils augmentent l’agitation. On peut juger de la valeur des infirmiers par le petit nombre de moyens de contention qu’ils emploient. Dans fort peu de cas, certains agités ne trouvent de repos que s’ils ont leurs mouvements entravés ; il faut user avec modération de la camisole ou du gilet de force et se conformer à l’article 105 du règlement du 20 mars 1857. Le droit d’ordonner des moyens de contrainte appartient exclusivement au médecin-chef. »
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Alors on essaya la serviette aspergée.
– Ça, c’est mauvais parce qu’on étouffe.
La tête de la malade est enfermée dans une serviette de toilette qu’une infirmière tient serrée par-derrière. Une autre infirmière asperge par devant. La punition est plus douloureuse que sa description ne l’indique.
– On serre très fort. Même à sec, déjà, on suffoque…Mais lorsqu’arrive l’eau glacée, surtout en hiver, on croit mourir…
La serviette ne va pas sans la camisole, car la patiente se débat toujours.
Malou pleurait après la punition.
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Je suis entré dans les usines et j'ai parcouru les champs. Ici et là j'ai trouvé devant moi le visage osseux de la fée misère.
Quand on rafistolait hier, en ragoût économique, les restes du boeuf bouilli et qu'on se faisait pleurer les yeux à éplucher les oignons, il est dangereux de se réveiller tout à coup grande dame de l'autre côté du canal de Suez et d'avoir un valet ou une femme de chambre pour vous lacer les souliers.
La jeunesse, dans tous les pays, est toujours impétueuse ; elle parle sans réfléchir et elle croit tout savoir. Les jeunes gens qui voient pour la première fois la rivière s'imaginent qu'il est facile de passer sur l'autre rive. Ils se jettent à l'eau et manquent se noyer !