Le voyage fut extrêmement long . Interminable . Six ou sept heures à entendre mon père chanter de vieilles chansons de sa jeunesse dans un anglais approximatif , ma mère crispée sur son siège , de plus en plus immobile au fur et à mesure de notre avancée .
Jamais, malgré toutes les années qui ont passé, jamais je n’oublierai ce que j’ai vécu cet été-là. Même si mes souvenirs, avec l’âge et le temps, se sont peu à peu transformés en un brouillard plus ou moins épais ; même s’ils se situent nécessairement quelque part entre la vérité et l’imaginaire ; même si parfois je n’ose pas y penser, au risque que m’apparaisse l’impossibilité de certains événements. Ce que je sais, avec la certitude de quelqu’un qui n’a rien à perdre, c’est qu’à la fin de cet été-là, je n’étais plus un enfant.
Comme tous les étés, il allait partir deux semaines chez ses cousins dans le sud de la France, puis il reviendrait et nous passerions le reste de nos vacances à la piscine municipale, à lire des bandes dessinées ou à jouer à des jeux de rôles sur son ordi. Je ne me souvenais pas d’un seul été où nous étions séparés.
La fenêtre. Quelque chose se passait dehors, j’en étais sûr. Je le sentais, sans pouvoir expliquer comment. Je me dirigeai vers la vitre, mesurant chacun de mes pas pour faire le moins de bruit possible, comme si la chose pouvait s’échapper.
J’avais raison, ce n’était pas une hallucination. Je n’avais pas rêvé, je n’avais pas été trop fatigué.
De ma fenêtre, je voyais un rai de lumière qui partait d’un peu plus loin que l’endroit où les chemins se séparaient. Un rai de lumière fixe, qui s’éteignait et s’allumait par intermittence.
À ce moment-là, je sus véritablement qu’il se passait quelque chose, une certitude physique, urgente.
J’ignorais, en revanche, à quel point cette lumière changerait ma vie. Plus rien ne serait comme avant.