Quoi de plus incitatif à la procréation que la perspective terrifiante de ces longues années dans un foyer de personnes âgées, sans visite, sans distraction ? Cauchemar que certains contournent en ayant huit enfants, un pour chaque jour de la semaine, plus un – on n’est jamais trop prudent.
On raconte généralement dans les milieux bien informés que le père Noël est un gentil garçon. Eh bien, rien n’est plus éloigné de la vérité car ces temps-ci le père Noël devient maussade, grognon, taciturne, acariâtre. Transportons-nous chez Eaton au moment où le père Noël reçoit sur ses genoux un petit garçon.
Enfant : Bonjour père Noël !
Père Noël : Hé ! Hé ! Hé ! Et bien oui, salut le petit monstre !
Enfant : P père Noël, j’ai été sage toute l’année !
Père Noël : Ça fait rien, j’t’haïs pareil ! Regarde-moi donc, là. Ta mère, est-ce qu’elle est belle ?
Enfant : Oh oui !
Père Noël : Ça doit être ton père qui est laid d’abord.
Enfant : P père Noël, je voudrais te demander des étrennes.
Père Noël : Oui, mais fais ça vite, père Noël a hâte d’aller prendre sa bière.
Enfant : P père Noël, je veux avoir un train électrique.
Père Noël : Le père Noël aimerait bien mieux te donner une chaise électrique. Hé ! Hé ! Hé !
Enfant : P père Noël, j’étudie fort !
Père Noël : Es-tu bon un peu à l’école ?
Enfant : Ben… ça fait trois fois que je recommence ma deuxième année.
Père Noël : Hé ! Hé ! Hé ! Tu t’en vas vers la politique ! Hé ! Hé ! Hé !
Évidemment, la réalité est plus complexe. Au cours des années 1950, les Québécois profitent de la prospérité économique et entrent dans l’ère de la société de consommation, comme les États-Unis et le reste du Canada. L’indice du salaire moyen triple, alors que le gouvernement Duplessis investit dans les secteurs économiques névralgiques et fait construire des milliers d’écoles. La population est devenue urbaine à 71% et le Québec est nettement une société industrielle. Même Paul Sauvé, qui a succédé au défunt Maurice Duplessis, ponctuait ses phrases de « désormais » et proposait diverses réformes qu’il n’a réalisées qu’en partie, victime de la grande faucheuse cent douze jours à peine après avoir accédé au pouvoir. Jean Lesage le libéral a, du coup, retrouvé la confiance qu’il lui fallait pour remporter ses élections.
Je n’ai jamais su s’ils agissaient par bravade ou par bravoure, si leurs gags étaient teintés d’une réelle indignation ou d’un je-m’en-foutisme estudiantin. Mais j’étais convaincu d’une chose : ces empêcheurs de tourner en rond éveillaient des consciences, et ce, au même titre que Deschamps, Charlebois, Bourgault, Chartrand contribuaient à exacerber l’inconfort dans lequel vivait le peuple québécois. Les Cyniques étaient brillants, fougueux et baveux. Ils en usaient et en abusaient.
J’ai découvert les Cyniques par l’entremise des mes parents qui possédaient la plupart de leurs records, comme on disait à l’époque. Enfant, bien des gags m’échappaient (Les libéraux présenteraient un cochon dans Outremont pis y serait élu. — Justement, y’en ont présenté un !), mais je comprenais parfaitement la mécanique de certains autres (Le golfeur Adrien « Legs » Bigras a frappé aujourd’hui deux très vilaines balles. En effet, il a pilé sur un râteau).
Le groupe les Cyniques a marqué l’histoire culturelle du Québec. Pour bien des Québécois, il a contribué à transformer le visage du Québec en révolutionnant sa façon de faire de l’humour. Dans l’histoire du Québec, les Cyniques ont leur place parmi les plus grands humoristes et sont considérés comme des pionniers de la satire irrévérencieuse et iconoclaste.
Le Québec des années 1980 permettait à tous, humoristes et chroniqueurs, polémistes et démagogues, de tirer à bout portant sur tous les irritants au nom de la liberté d’expression. Et pourtant, vingt-cinq ans plus tôt, ce droit à la moquerie dénonciatrice était davantage contesté, voire dangereux. C’est là qu’interviennent les Cyniques.