Ludwig Binswanger

Pour Freud, il se pourrait bien que les rêves veulent dire quelque chose et si vous pensez quant à vous qu’ils ne sont rien que conneries et loufoqueries, c’est fait exprès : ils ne veulent pas apparaître trop clairement ! Ce qu’ils ont à dire serait bien trop important pour que vous ne le censuriez pas, ô vous, êtres humains aussi fragiles et vaporeux qu’un papillon de sucre sur la serviette de mariage de votre amie d’enfance. Le rêve contient un trésor, vous dit-on, à vous de creuser pour comprendre quel refoulé se cache derrière la forme voilée, à vous de décrypter, à vous de vous la branler pendant des heures alors que votre époux attend que vous veniez le rejoindre au fond de votre grand lit doucereux.





D’autres ont dit que le contenu caché du rêve, on s’en fout, c’est son contenu manifeste qui est important. On devine que ceux-là sont des petits malins qui n’ont pas envie de perdre trop de temps à faire tourner la pierre de rosette sur les saloperies qui les prennent pendant leurs rêves. Binswanger fait partie de ces gars-là avec, entre autres, après lui, Michel Foucault (pas celui de qui veut gagner du flouze) et Wilfred Bion qui avançait, d’une manière un peu plus profonde et intéressante que Bins, que le travail du rêve permet à des idées impensées d’être pensées, pour ensuite devenir conscientes ou être refoulées.





Bien sûr, les partisans de la réflexion philosophique sur le cosmos et la nature ontologique de l’être humain me diront que j’exagère à tout réduire à trois phrases, comme si tout le bouquin servait à rien. C’est vrai que je pourrais en dire davantage. Binswanger pousse les élucubrations un peu plus loin, émettant l’idée que nous rêvons pour nous détacher de notre ego limité et limitant. En voilà un beau projet qui devrait nous faire pousser des cris de joie, dès maintenant. « C’est seulement parce que nous ne sommes pas en rapport avec le tout que nous rêvons ».





Ça doit sans doute avoir un rapport avec ce qu’il développa comme technique thérapeutique, la Daseinsanalyse (à prononcer avec l’accent allemand donc). « Nul ne peut recouvrer la santé, la recouvrer réellement au plus profond de son être, si le médecin ne parvient pas à faire jaillir en lui la petite étincelle de la spiritualité qui doit demeurer en éveil pour que puisse être éprouvé le souffle de cet esprit. » Donc, le mec qui veut guérir doit se détacher de ce qu’il appelle « son théâtre intérieur » pour prendre part à la vie universelle de l’esprit et des conneries. C’est vrai que toute forme d’oubli, qu’elle se fasse par la consommation de substances ou par l’ascèse de l’esprit et du corps, apporte son lot de bénéfices pour les troubles mentaux qui proviennent bien souvent d’une trop grande acuité, c’est-à-dire d’une méprise sur ce qui est vrai, sur ce qui devrait être vrai, et ce qui est définitivement et à tout jamais faux.

C’est un essai très court, qui ne peut donc être que programmatique. La Daseinanalyse n’y trouvera pourtant pas de « définition explicite ». On y trouvera pas, non plus, une nouvelle « doctrine », ce qui, de fait, constituerait d’ailleurs, en ce sens spécifique, une entrave à l’analytique existentielle ici mise à jour. Je ne sais pas vraiment quoi relever. C’est un travail intéressant mais qui manque de « direction ». Je pense qu’il faut laisser le travail de la relève au lecteur. Je noterais simplement que les informations apportées sur le rêve, qui constituerait une espèce de retrait du tout de l’éveil, ne contrastent pas vraiment avec une phénoménologie classique, mais permettent malgré tout de mieux en constituer l’objet.

Une publication qui clarifie le projet phénoménologique d'un psychiatre inspiré par Husserl et par Heidegger.
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