Luis Ventin

Demain Erwan partait pour l’Égypte. Le Caire. Le lieu de sa première rencontre avec sa femme. Avec Judith. A l'évocation du nom de sa femme défunte des larmes roulèrent sur ses joues décharnées.
« Que la vie peut se montrer cruelle et injuste parfois... », pensait-il en fermant ses yeux rougis par le sel de larmes trop abondantes. 
Les souvenirs de l'accident le hantaient chaque jour et chaque nuit depuis plus d'une année. Il revoyait Judith,heureuse et riante, lui tenir la main, s'amusant à frôler, de ses pieds menus, les vagues des belles plages de Perros-Guirec. Comme la vie semblait belle et éternelle à cette époque ! Nul nuage n'assombrissait l'horizon. Il venait de fêter ses 50 ans, et ses 20 ans de bonheurs avec Judith. Tout leur souriait. Leurs enfants étaient beaux et intelligents. Erwan adorait son travail d'informaticien dans l'entreprise familiale gérée par sa belle-mère. Tout était parfait. Mais la vie aime reprendre ce qu'elle donne, et c'est au détour d'une route de campagne, qu'elle décida qu'il était temps de rétablir l'équilibre du bonheur et du malheur.

Après ma fille vous voulez tuer mon entreprise ! Vous êtes un danger pour vos enfants ! Comment pouvez-vous les élever alors que vous ne savez pas vous gérer vous-même ? Vous n'êtes qu'une déception dans notre vie ! Vous détruisez tout ce que vous approchez ! Mes petits-enfants vous haïssent ! Je ne veux plus vous voir ! », la litanie infernale de sa belle-mère était sans fin, toujours plus haineuse et destructrice. Et le pire était qu'il finissait par se dire qu'elle avait au fond raison... en effet, il conduisait ce soir là, et même s'il n'avait pas bu, il aurait dû garder le contrôle de la voiture... et oui, il était dépressif... et oui il ne pouvait travailler dans ses conditions... Alors il avait démissionné.

Les Hommes, les plantes et les animaux restaient d'ordinaire cachés lorsque le Khamsin soufflait. « Quand le vent du diable souffle on se cache sous terre et on le laisse passer » : c'est ce que la sagesse des hommes, des plantes et des animaux disait. 
Ce soir là, semblant défier le dieu menaçant qui hurlait sa fureur, une forme incertaine et blafarde se découpait sous le ciel gris. C'était une femme. Elle marchait, seule, enveloppée dans une robe moulante blanche. Forme fantomatique incongrue dans un tel lieu et à une telle heure. Elle semblait flotter entre les wadis de calcaire et de sable. Son nom était Quibilah. Sa vie c'était le désert. Elle avait toujours vécu ici.

Erwan revivait, béat, leur promenade joyeuse dans la ville jusqu'au café El Fishawy. Ce temps merveilleux refaisait battre son cœur. Ce bonheur d'être heureux à deux ! Cette joie de partager ce qu'il y a de beau en ce monde. Ce sentiment que rien de sombre ne peut nous atteindre, et que l'avenir le meilleur appartient à ceux qui ne rêvent que d'amour, de voyages et de belles rencontres.
Soudain, Erwan ferma à nouveau son visage. Une douleur sourde dans la poitrine. Son présent malheureux chassa en un instant les joies du passé, lui fermant les portes de l'avenir. Ce bonheur à deux d'autrefois rendait sa solitude insupportable.

Malgré le froid, vous décidez de vous asseoir quelques minutes au pied de la tour, connecté par la pensée aux hommes et aux femmes qui vécurent à cet endroit il y a 6 siècles. A un moment, alors que vos paupières se ferment, il vous semble même entendre le tumulte de la foule venue acheter sa viande ou faire écrire une lettre par la main instruite de Flamel. C'est en rouvrant vos yeux embués de larmes par l'émotion que quelque chose d'incroyable se produit ! Un homme aux vêtements d'un autre temps, à la peau parcheminée, se tient devant vous.

Quibilah connaissait le désert par cœur, mais elle ne se lassait pas de le contempler sans fin. Elle aimait le contact du sable sous ses pieds, la chaleur de l'air chaud sur son visage, méditer au pied de la montagne de cristal,  jouer à la tombée de la nuit avec les petits renards du désert, et surtout observer des heures durant les scarabées sacrés poussant leur boule d'excréments comme le dieu Khepri le fait chaque jour en roulant le disque du soleil jusqu'aux matins du monde.

Finir sa vie là où elle avait débuté. Au départ il pensait partir au hasard et rouler jusqu'à sa dernière goutte d'essence, puis marcher jusqu'à sa dernière goutte d'eau, avant d'épuiser enfin sa dernière goutte de vie… mais comme l'avait dit le vieux marchand, le hasard n'existe pas en ce monde, et maintenant il avait un but : il irait donc mourir à Farafra, à la recherche du collier perdu ! Au plus près de son amour naissant aujourd'hui disparu. Mektoub ! C'est écrit.

La nuit dans le désert est synonyme de vie. C'est le moment où les animaux et les insectes peuvent s'extirper de leurs abris diurnes, loin du feu du jour, pour enfin trouver un peu d'eau, le plus souvent en allant la voler dans le corps d'une proie malchanceuse. La nuit était fraîche, comme le sont souvent les soirs de printemps dans cette région. Mais plus pour longtemps.

Le Caire ! Enfin ! Pour la première fois depuis l'accident, Erwan se sentait à nouveau vivant. Ce pays possédait une atmosphère unique, faite de lenteur, de chaleur humaine, de richesse culturelle et spirituelle unique au monde. Tant de religions, tant d'histoires, tant de découvertes, tant de batailles décisives avaient trouvé place ici que cela en donnait le tournis !

Votre petit groupe d'étudiants s'était agglutiné devant le 51 rue de Montmorency, une des plus vieilles maisons de Paris, construite par le plus grand alchimiste de son temps....