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Citation de Partemps


— Si l’on vous demandait ce que vous pensez avoir découvert ou apporté de plus important en tant que penseur ?

G. B. — Ce dont je suis le plus fier, c’est d’avoir brouillé les cartes... c’est-à-dire d’avoir associé la façon de rire la plus turbulente et la plus choquante, la plus scandaleuse, avec l’esprit religieux le plus profond. Il ne faut pas s’imaginer qu’on puisse à cet égard arriver à quelque chose de nouveau, il est certain que les hommes ont atteint les points extrêmes, je pense à certains yogi, à Ramakhrisna. L’homme vit dans une sorte de complet divorce entre les idées qu’il professe et ce qu’il y a véritablement au fond de lui. Il faudrait arriver à devenir le plus enragé possible en gardant une sorte de lucidité. Tout ce à quoi l’homme peut prétendre c’est à se dire, tout au moins à un moment donné : eh bien ! je n’ai pas pu aller plus loin, et je ne suis pas sûr qu’un autre ira plus loin. Est-ce clair, ce que je dis ?

— Vous parlez de choses qui généralement ne sont pas considérées comme des besoins humains, l’excès, le mysticisme, dans nos sociétés on laisse cela de côté, à quelques individus... C’est le progrès social et économique qui importe.

G. B. — L’extase d’un homme n’a jamais servi à personne d’autre qu’à lui, à moins qu’on se mette à glisser sur la même pente. Le bâillement est contagieux, l’extase l’est aussi, de la même manière.

— Pourquoi avez-vous intitulé un recueil de vos textes Somme athéologique ?

G. B. — Tout le monde sait ce que représente Dieu pour l’ensemble des hommes qui y croient, et quelle place il occupe dans leur pensée, et je pense que lorsqu’on supprime le personnage de Dieu à cette place-là, il reste tout de même quelque chose, une place vide. C’est de cette place vide que j’ai voulu parler.

— Vous pensez que Dieu manque ?

G. B. — L’agitation religieuse de tous les temps aboutissait toujours à créer des êtres stables, ou plus ou moins stables, tandis que je voulais introduire à la place de ces êtres stables la représentation d’un désordre, de quelque chose qui manque et non pas de ce qui doit être révéré. Il me semble qu’il est important d’apercevoir ce qui manque dans le monde, je sais qu’on peut tout simplement dire que ça ne manque pas, puisqu’on peut s’en passer, mais cela n’est pas vrai pour tous : il y a certaines gens pour lesquelles le souvenir de ce que Dieu a représenté... Il faut que je fasse attention, je crois que je peux dire ici des bêtises, c’est-à-dire des choses très lourdes, mais enfin il me semble que l’on peut apercevoir ce que Nietzsche a exprimé par la formule de la mort de Dieu. Pour Nietzsche, ce qu’il a appelé la mort de Dieu laissait un vide terrible, quelque chose de vertigineux, presque, et de difficilement supportable. Au fond, c’est à peu près ce qui arrive la première fois qu’on prend conscience de ce que signifie, de ce qu’implique la mort : tout ce qu’on est se révèle fragile et périssable, ce sur quoi nous basons tous les calculs de notre existence est destiné à se dissoudre dans une espèce de brume inconsistante... Est-ce que ma phrase est finie ?

— Je crois.

G. B. — Si elle n’est pas finie, cela n’exprimerait pas mal ce que j’ai voulu dire...

— Vous avez beaucoup parlé de la mort, toute votre vie.

G. B. — Je crois que... je vais peut-être me vanter, mais la mort est ce qui me paraît le plus risible au monde... Non pas que je n’en aie pas peur ! mais on peut rire de ce dont on a peur. Je suis même porté à penser que le rire, sur le plan philosophique ou paraphilosophique, c’est le rire de la mort. Et l’équivoque humaine est qu’on pleure de la mort, mais que lorsqu’on rit on ne sait pas qu’on rit de la mort. Parce qu’au fond, du moment que nous mourons, les choses dont on rit on devrait plutôt en pleurer, et le contraire...

— Je comprends qu’on puisse rire du néant, mais avant d’en arriver là il y a mourir...

G. B. — Ah ! il y a la souffrance, et cela c’est une autre affaire, et j’imagine très bien que la souffrance pourra m’atteindre, autant que n’importe qui, mais enfin il me semble que les hommes pourraient assez facilement se faire une idée de la mort voisine du grotesque.

— Comme à l’époque des danses macabres ?

G. B. — En représentant la mort sous des traits comiques, les gens cherchaient à échapper à ce qu’elle a de terrible. Mais il me semble qu’il s’est d’abord agi pour moi d’avaler la mort sous son côté le plus terrible, sans me laisser impressionner pour ne pas en rire. Il s’agit bien là de quelque chose de nettement athée, parce qu’on ne peut pas rire de la mort en présence d’un Dieu qui est un juge. Tandis qu’à partir du moment où on s’est assuré qu’il n’y avait pas de jugement, qu’il n’y avait pas de Dieu...

— Assuré ?

G. B. — Ma foi, si je me trompe c’est tant pis pour moi ! Il faut à un certain moment, je crois, arriver à résoudre par la légèreté les questions les plus tragiques, si quelque chose mérite du respect, c’est bien la légèreté ...
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