Du blanc presque pur, jusqu'aux différentes nuances d'ocre, du gris noircissant, jusqu'au vert velouté, cette pierre que digère l'eau et que façonne l'artiste est étonnamment vivante, capable de susciter presque simultanément la sensualité et l'effroi. Bien sûr, en archéologie, en histoire, les certitudes sont rares, mais une vérité s'impose lorsque l'on visite cette Cave aux sculptures du XVIe siècle : celui ou ceux qui ont vécu un jour dans cette chambre ardente en ont aimé les pierres. Ils les ont aimées jusqu'à les faire vivre dans l'enveloppe granuleuse de corps que l'on croirait animés par le jeu des ombres et le rougeoiement de l'âtre. Ils les ont aimées au point de risquer leur vie, car si de telles représentations avaient été découvertes, les sculpteurs n'auraient eu aucune clémence à attendre d'un jugement, si tant est qu'il ait eu lieu.
Un climat de terreur et de clandestinité que suggère assez fortement l'une des représentations de la Cave aux sculptures (XVIe siècle) : un couple figé de plain-pied hurle. Bouches bien rondes, soulignées par une dentition circulaire, yeux écarquillés. La femme a libéré l'un de ses seins pour la tétée du nourrisson qu'elle tient fermement dans ses bras, mais aucun sentiment de paix n'émane de cette scène primitivement maternelle. Au contraire, la tétée qui représente la vie, l'innocence et l'affairement quotidien est instantanément -dans ce temps pétrifié propre à l'art du sculpteur- contredit par ces bouches arrondies de surprise et d'horreur, devant une mort qui approche pour les faucher en pleine sève. L'homme tente de protéger sa femme et son enfant. On peut lire, dans leurs yeux pierreux, le reflet d'une cohorte qui se précipite, affolée par la haine et le goût du sang.
Tout commence en 1740, le jour où le curé du petit village de Denezé découvre sous son propre jardin une cave gorgée de représentations impies. Bouleversé, on l'imagine, et après maints signes de croix, il court en informer l'évêque d'Angers qui ordonne aussitôt le remblaiement du temple païen. Durant presque deux siècles le site est livré à l'oubli ; il ne sera visité qu'au XIXe siècle, par Célestin Port, archiviste et historien. Il faudra attendre 1956 pour que Camille et Jeanne Fraysse, passionnés d'histoire et d'architecture angevines, redécouvrent ce lieu insolite. la "Cave aux sculptures" est inscrite à l'Inventaire des monuments historiques en 1969, et les premières fouilles commencent en 1974. Elle n'exhument alors qu'une partie du souterrain, le reste est encore aujourd'hui noyé dans le remblai et conserve son mystère.
Avant même d'aimer la Cave aux sculptures (site datant du XVIe siècle), avant de tomber sous le charme plein d'ombre de ces galeries, de ces poches minérales disséminées dans le sous-sol secret du Saumurois, il faut en aimer la nature de la pierre, ce tuffeau dont la substance peut tant différer selon les couches millénaires où l'on choisit de l'extraire, et selon la quantité d'eau qu'il ingère par capillarité, qu'il soit à l'état brut ou que l'on y ait façonné la sécheresse acerbe d'un visage hurlant.