Marc-Émile Thinez

les bras hors du lit ne trouvent
pas le mur les fourmis l’auront
mangé je me dis et je me rendors
caressez-moi d’abord les jambes
dit la reine entre alors le roi et je
pense comme elle est tendre ici la
création j’ai encore neuf doigts
et ma femme peut changer oui

j’aurai été
un certain Plume

le récit qu’il en fait à leto dans la
rue principale (tomatis c’est plus
tard) le mathématicien le tient de
bouton nous marchions vers le sud
entre passé présent futur traverserons
21 rues 7 par chapitre le récit de
l’anniversaire de jorge w noriega
prétexte à glose en 3 fois 700 mètres

j’aurai tour à tour été
Angel Leto et Le Mathématicien

terreur au collège militaire la bande
du cercle est là moi son chef et bien
là l’esclave assassiné c’est moi
j’avoue oui mais peut-être ou pas et
puis tout a une fin collège prestige
pouvoir retour paisible à vie civile
modeste employé époux de teresa
fiancée jadis du mort teresa jadis

j’aurai été
Le Jaguar

Ses mots se frottent aux miens. D’un coup les
libèrent. C’est un jeu d’enfant, hop ! une tape et
on libère un prisonnier, parfois plusieurs, et puis
on court, ils courent et s’enfuient, les mots filent.
Ça se raconte tout seul. Je ne sais pas ce que je
veux dire ni si je veux dire quelque chose. Si
c’est la vie de Jean, la mienne, s’il castrait le
maïs, si c'était moi. Si nous castrions le même
maïs ensemble. Ceux du père, ceux du fils et
d’un mystérieux esprit, ceux de tous et de
personne, des mots, dans ces mots un Jean qui
en vaut un autre, plus je crois à ce Jean-là plus
les mots le portent, l’amènent à m’envahir, des
mots phagocytés par d'autres mots.

Ni soi ni personne. Tout y est saisi, absorbé,
fondu, logique impersonnelle aveugle, tout y
est refaçonné, réinventé, dissous. Il régénère en
dissolvant, en dissolvant se régénère, dans le
langage il n’y a personne ni le langage lui-même,
à peine un reflet, reflet trompeur
soluble dans les mots, ce reflet dont sont faits
les rêves.

Il fait encore jour, plus pour très longtemps. Jean
ne travaille pas. Il est passé me prendre au centre
aéré. Nous sommes allés ensemble chez ma grand-mère,
maintenant nous rentrons chez nous.
C’est l’été. Jean est en bras de chemise. Il est
brun, finement musclé. Je porte un débardeur et un
pantalon court. Je marche à sa droite. Sur le trajet
nous croisons des gens plus ou moins connus.
Connus de Jean, je veux dire. Des hommes, des
couples. Des femmes seules, ouvrières de retour
d’usine ou des commissions, certaines poussent un
vélo, la montée vers la Haute-ville est raide, plus
rarement une bourgeoise élégante. Des femmes
pour la plupart que je n’ai jamais vues. Avec elles
la voix n’est pas la même. Un bonsoir rauque et en
retour leur regard fiévreux, la tension dans l’air,
les yeux baissés ou qui défient.

L’école à peine finie j’enfile ma veste à franges,
simili n’entre pas dans mon vocabulaire, pas
encore, je chausse mes mocassins Iowa en
daim, Iowa c'est la marque et le nom d’une
tribu indienne, daim c’est facile à prononcer,
plus que suédine, la toque en fourrure avec ses
vrais poils j’enfouis mon nez dedans avant de
la mettre, elle sent fort la légende et David
Crockett, grand exterminateur d'Indiens s'il en
est. Animal du haut jusqu’en bas j’entre dans
le réel de plain-pied. L’amalgame innocent est
mon laisser-passer, le monde immédiatement
m’adopte et me parle, me dit qu'il est simple,
autant que son récit est ambigu.