"Attendu que la natalité, chez les statues, progresse en raison directe de la diminution des personnalités marquantes, que nous formons aujourd'hui un monde nouveau qui n'a plus que faire de la raison d’État ni du système Taylor, que, loin de nous accorder le grand air et les domaines auxquels nous avons droit, on nous parque, on nous entasse, au mépris de l'esthétique et de la prudence, dans les grandes villes et les capitales, que nos socles sont couverts de graffiti portant atteinte à notre dignité ; que nos noms sont utilisés, avec un sans-gêne insupportable, par des marchands de champagne, de papier ou de saucisson, que toutes les légendes que nous avions préparées ou entretenues, avec tant d’âpres soins, pour l’élévation et l’agrément spirituel des hommes, sont devenues légendes d'opéra-comique, que nos existences ne sont plus que d'abominables vies romancées.
" ... Attendu que la vie est devenue inhumaine dans toutes les capitales du monde ou plutôt qu'elle s'en est retirée, que l'homme n'a pas été conçu pour jouer un rôle misérable dans un engrenage de machines qui le poussent vers la folie et le suicide. Qu'il y a, de ce fait, crime et péché mortel à l'égard du Saint-Esprit, parce que Notre-Seigneur a dit : "Que sert à l'homme de gagner l'univers, s'il vient à perdre son âme."
"... Attendu que nous considérons désormais les vivants - dont la nervosité, les excès de vitesse et l'inconscience outrepassant nos espoirs et nos craintes, nous excèdent jour et nuit - comme marionnettes et numéros, automates et matricules - que Paris est, par excellence, a toujours été, depuis Aix-la-Chapelle et Rome, la ville-lumière et qu'elle doit, de ce fait, donner au monde un nouvel et fécond exemple ...
"... Étant donné, d'autre part, que nous sommes en partie responsables de cet état de choses, qu'enfin nous avons toujours été soumis à la volonté de Dieu et que nous agissons dans sa lumière ...
"Nous estimons, Monsieur le Président et cher petit-cousin, que si, dans les quarante-huit heures, vous n'avez pas pris ordonnance qui nous agrée quant à l'évacuation de la ville et dispersement de ses habitants dans un délai d'un mois et cinq jours, nous nous verrons dans la nécessité immédiate et douloureuse de vous déclarer la guerre ...
"CAROLUS MAGNUS,
Empereirdre, roi de Nustrie,
d'Aquitaine et d'Austrasie,
place du parvis Notre-Dame."
AU DERNIER RENDEZ-VOUS
extrait 6
La fin de l’Europe est déjà une très belle affaire
Mais la fin du monde c’est une affaire formidable
Il s’agit d’y aller carrément Il y faut du cran
Mettez-moi ça en obligations et vite : j’en prends.
*
La mer
La mer qui est comme les lits où l'on aime
ce corps comme une pêche pour ta soif d'été
cette sueur ces algues amères cette foule
des doigts sur un visage qui mûrissait.
Et nous n'avons pas bu nous étions le vin même
nous n'avons pas mangé nous étions un pain double.
//Claudine CHONEZ
ÉLOIGNEMENT,
La nuit craque, éclate.
Déjà cicatrisée, la nuit.
Mais lui
Sa tête ouverte, son front qui baille
Et ses hoquets.
Il nous fallait
Courir, marcher encore, aller jusqu’au bout.
La boue glissait entre nos pieds.
Les longs et froids serpents de la boue
Entre nos pieds.
Je suis revenu quatre fois.
Il n’était pas mort. Il respirait
Gémissait comme un enfant
Vomissait du cerveau sur le guéret.
A tâtons, j’ai pris ses papiers collés de sang.
Quand je me suis penché la dernière fois
Sur sa tête éventrée
C’était la mer, il m’a semblé
La mer obscure que j’entendais
Qui se plaignait, douce et lointaine
Comme éternelle au fond des coquilles désertes.
AU DERNIER RENDEZ-VOUS
extrait 4
Au bout du quai
Dernier aveu
Et pour acquit
Merci la vie.
*
AU DERNIER RENDEZ-VOUS
extrait 3
Masque au long souci timbré des indigences
Intelligence qui es mon droit d’aînesse
Parapluie que les dieux morts nous laissent
Tu seras demain mon bâton de vieillesse.
*
AU DERNIER RENDEZ-VOUS
extrait 5
Grande lumière est fille de joie
Peaux de fer et jeux perçants nous lient
À chacun sa cargaison d’oubli
Moi j’dors de boue Il y en a trop.
*
AU DERNIER RENDEZ-VOUS
extrait 1
Êtes-vous libre ? Soyez dangereux
Notre avenir est en boîtes de conserves
Mais la boîte à couleurs officielles
n’a pas l’aboi des couleurs naturelles.
*
AU DERNIER RENDEZ-VOUS
extrait 2
Laissez-moi donc lécher mon ours
Vous ― léchez les bottes à vendre
L’ordre suivez-le à plat ventre
Moi je le dépasse à la course.
*