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Citations de Marcelle Tinayre (29)


Les promeneurs qui s'attardaient au Parc Monceau, par les beaux couchants d'automne, aperçurent quelquefois un couple étrange, qui, d'abord, prêtait à sourire, et donnait ensuite penser. Certes, le soldat russe devenu civil, vêtu d'un vieil uniforme sans galons, n'est pas un type exceptionnel dans le Paris d'après-guerre, où l'on rencontre fréquemment des femmes plus bizarres encore que Priscille Séverac; mais, par leur assemblage, Priscille et Féodor prenaient un caractère fantastique, composaient une énigme vivante que l'on ne pouvait considérer sans étonnement.
D'où venaient ces deux êtres disparates ? Quelle sorte de relations existaient entre ce jeune hercule blond et cette maigre quinquagénaire à la démarche cassée, aux gestes incertains, à la longue figure jaune sous un chapeau de deuil ? Qui eût écouté leur conversation, eût trouvé, dans leurs propos, la même disparité que dans leur aspect physique. L'un parlait, avec les chantantes modulations des Slaves, un français barbare, sans articles, où les mots avaient des sons et des sens imprévus. L'autre employait ce que les Anglais appellent le "patois de Chanaan", mais sans aucune grandiloquence, à petites phrases courtes et simples.
Depuis qu'elle avait retrouvé le Russe à l'église, Priscille ne vivait plus que pour le revoir. Le temps qui s'écoulait, entre leurs rendez-vous au Parc Monceau, ne se mesurait plus par les heures régulières, par l'alternance des jours et des nuits : c'était une longue rêverie, coupée d'accès fébriles, une attente aussi passionnée que l'attente de l'amour, avec, par moments, cette impatience qui soulève les voyageurs à la fin d'une traversée, lorsque apparaît la terre chérie comme un nuage bleu sur l'horizon. Priscille faisait son travail accoutumé avec une ponctualité automatique, mais son corps seul agissait, son corps seul habitait la maison de madame Quenelle. L'esprit, devançant le jour désiré, vivait toutes les émotions de la rencontre prochaine. Quand arrivait ce jour, Priscille perdait absolument la mémoire de ce qui n'était pas sa mission. Elle laissait l'aiguille piquée dans la toile, la boîte à ouvrage ouverte sur la table, et elle mettait son chapeau et son manteau avec des mains maladroites, que le besoin de partir au plus vite faisait trembler.
Féodor Ivanovitch n'était pas toujours bien exact. Il ne possédait pas de montre, et n'avait pas le sens de l'heure. Quand il trouvait Priscille, errant dans l'allée du Parc, en proie à la torture nerveuse de l'espérance, il ne s'excusait même pas. Il disait seulement :
- J'ai plaisir...
Et l'intime satisfaction de son cœur éclairait sa figure puérile.
Il disait aussi :
- Vous, pareille ma maman.
Ce mot de « maman » attendrissait Priscille, mais Féodor se trompait : elle n'était pas une mère pour lui; elle n'était pas une femme, avec les instincts qui viennent de la chair et du sang; elle ne l'aimait, ni comme un fils, ni comme un homme. Ils étaient, elle et lui, deux Âmes au service de Dieu, deux âmes qu'unissait une liaison toute spirituelle.
Elle ne pouvait pas lui expliquer cela, et elle prenait, comme il les lui donnait, ses témoignages affectueux, contente de faire du bien à un pauvre garçon sans patrie et sans mère. Elle savait aussi que cette tendresse filiale était un moyen d'action nécessaire pour suppléer aux insuffisances du langage. Féodor subissait le charme de Priscille, comme tant d'autres, - les Bridain, les Pouldu, Giorgio Nera, M. Pouchkine - l'avaient subi, bon gré, mal gré. Il ne semblait pas très étonné que cette pieuse femme lui eût témoigné, spontanément, une affection si chaude et si douce. Ne l'avait-il pas sauvée lorsqu'elle était disait que Dieu avait fait un miracle en sa faveur et qu'il en ferait beaucoup d'autres ? L'idée du miracle est familière aux primitifs. Féodor Ivanovitch acceptait toutes les interprétations que lui suggérait Priscille, lorsqu'elle parlait de leur première rencontre, de la Russie, d'un sauveur qui viendrait. Tout ce qui était confus, incertain, inachevé, dans cette histoire, ne gênait pas sa raison, car il ne raisonnait guère, et il se résignait, plus facilement que Priscille, à garder en lui, à sentir en elle, quelque chose d'incommunicable.
Elle, cependant, aurait voulu entendre le récit de sa vie, non par vaine curiosité, mais pour y découvrir des correspondances et des "figures", en exerçant son génie prophétique sur le passé. Une conversation logique, en termes précis et clairs, étant impossible, Priscille se contentait de lambeaux qu'elle rajustait malaisément. Elle savait que Féodor Ivanovitch était né du côté des monts Ourals; qu'il était fils de pauvres paysans; qu'il avait fait la guerre; qu'il était revenu chez ses parents et s'était caché dans les bois pour échapper aux commissaires bolcheviks; qu'il avait gagné le Caucase et Constantinople "en marchant beaucoup la nuit et presque mourant de pas manger", avec cet ami qui logeait maintenant dans sa maison. Les noms russes qu'il prononçait, rendaient ce récit incompréhensible pour Priscille. Elle ne pouvait ni reconstituer, ni placer dans leur cadre et à leur date, des événements racontés de cette façon désordonnée et fragmentaire.
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Les Bridain et les Pouldu ne comptaient plus revoir Priscille. Elle leur avait envoyé, de Venise, une carte illustrée représentant le Campanile, avec ces mots écrits en travers :
"Souvenir respectueux de votre dévouée.
P. S."
Depuis, rien. Ils se demandaient quelquefois si leur ancienne domestique n'habitait pas quelque prison italienne ou quelque hôpital de fous, et ils ne doutent plus, maintenant, qu'elle n'eût la tête dérangée.
Ils n'aimaient pas beaucoup à parler d'elle, parce qu'ils avaient subi son influence et qu'ils craignaient le ridicule. Comment avouer que cette fille extravagante les avait obligés, naguère, eux, des bourgeois sensés, des libres penseurs, des matérialistes à regarder du côté de l'autre monde !... Madame Bridain avait eu du vague à l'âme; madame Pouldu était retournée à l'église de son enfance; Léon lui-même, le positif Léon, l'ennemi des superstitions cléricales, avait essayé d'évoquer des esprits logés dans un guéridon tournant !... Et ils avaient poussé la bonté ou la bêtise à un tel point qu'ils avaient écouté les divagations de Priscille ! Ils avaient cru ou presque à la survivance du Tsar ! Ils avaient espéré qu'ils toucheraient, intégralement, les coupons de leurs titres !
Priscille partie, l'enchantement s'était dissipé. Plus de livres de spiritisme sur le guéridon immobilisé ! Plus d'église ! Plus de malaise moral ! Les Bridain et les Pouldu se réveillaient d'un étrange rêve, et le souci de l'argent, le goût des bons repas, attestaient leur retour à la santé. Du fond de l'Auvergne, une bonne leur était venue, qui aimait l'argent et les gros plats, une bonne qui ne chantait pas d'hymnes dans la cuisine, qui dormait pesamment, parlait crûment, riait fort; qui, le soir, quand on l'admettait dans la salle à manger où la famille était réunie, écoutait la lecture du feuilleton, mais ne comprenait rien à la politique.
Celle-là ne cassait pas les assiettes, par nervosité, mais elle les lavait à peine.
Lorsque Priscille arriva, sans s'être annoncée, à la fin d'avril, madame Bridain ne l'accueillit pas très chaudement.
- Que vous voilà maigrie et pâlie ! lui dit-elle avec une intention de blâme, comme si Priscille s'était engagée à revenir grasse et florissante.
L'infortunée Messagère ne tenait pas beaucoup de place sur la chaise qu'elle occupait. Ses vêtements montraient la trame. Une de ses chaussures baillait. Le crêpe de son chapeau, roussi et fripé, avait la triste couleur d'une souris morte. Quant au visage de Priscille, il était si jaune que, par contraste, le bleu obscur des yeux semblait avivé.
Poliment, elle demanda des nouvelles de la famille et s'extasia sur la belle mine de madame Bridain qui, dans son fauteuil, était comme un Bouddha femelle, tassé, ramassé et cramoisi,
- Tout le monde va bien... Et, vous savez, Priscille, j'ai eu de la chance. J'ai trouvé une bonne qui me convient admirablement.
- J'en suis heureuse pour Madame... J'étais sûre que le Seigneur ne laisserait pas Madame dans l'embarras...
- Et vous, Priscille ?...
- Madame ?
- Vous, est-ce que le Seigneur vous a tirée d'embarras ?...
Madame Bridain fixait, du regard, la bottine blessée.
- Il m'a ramenée en France... C'est pour le pas décisif.
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Il y avait une voix qui parlait en elle. Depuis plus de vingt ans, elle l'entendait, pensée distincte de sa pensée, voix inarticulée, insonore, à la fois conseil, commandement, consolation, voix de Dieu, croyait Priscille. C'était la même voix qui avait gémi et tonné par la bouche des petits prophètes cévenols; la même voix qui s'élève du fond des âmes que la persécution ou la maladie ont désaxées, et que sollicite un gouffre mystique où elles trouvent l'extase dans la douleur. Comme les Illuminés du Désert, Priscille annonçait la fin prochaine des temps, le règne de la Bête, l'immolation de l'Agneau, puis le salut, avant le Jugement, par un peuple choisi de Dieu, et par le chef de ce peuple. La grande guerre et les révolutions européennes, interprétées dans un sens spirituel, n'étaient, à ses yeux, que la confirmation des prophéties. Le bolchevisme, d'essence juive, n'était-ce pas le triomphe passager de l'Antechrist ? La disparition mystérieuse du Tsar, ne correspondait-elle pas à certaines "figures" de la Bible qui impliquent la mort apparente et la résurrection, la défaite et la revanche ?
Ainsi s'étaient formées, dans l'esprit de la pauvre fille, des hypothèses devenues des certitudes. Catholique, elle eût trouvé, au-dessus d'elle, l'autorité d'un confesseur qui l'eût réduite à la règle commune ou brisée... Protestante, ne relevant que de sa conscience, libre d'interpréter la Bible en toute bonne foi, elle s'était écartée des pasteurs et des temples, et ne s'était heurtée qu'à des médecins. Qu'ils fussent incrédules par métier, c'était bien naturel, pensait Priscille. Elle ne s'était pas irritée quand ils lui avaient dit : "Vous rêvez tout éveillée et votre prétendue vocation n'est que le délire de votre orgueil." Elle avait répondu simplement : "L'épée est-elle orgueilleuse du coup qu'elle a porté et la faucille de la moisson qu'elle a faite ?... Je suis un instrument aux mains du Seigneur, et par moi-même, rien..."
Ceux-là mêmes qui l'avaient tourmentée en voulant la guérir, n'avaient pas été insensibles à l'exquise qualité de cette âme, aussi blanche que l'âme d'un petit enfant. L'amour qui rayonnait d'elle la faisait aimer. Priscille pardonnait aux incrédules...
"S'ils avaient su !" pensait-elle... "S'ils savaient !..."
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- Qui la défendra contre les mauvais conseils du désespoir ?
- Elle est pécheresse comme vous êtes pécheur : il est juste qu’elle soit châtiée.
- Par moi, qui l’aime !
- Par vous, qu’elle a corrompu. (…) Si Dieu veut la sauver, il la sauvera bien sans vous. (…) Vous tremblez à la pensée des larmes qu’elle versera, larmes d’orgueil déçu, de désir trompé ?... Mon enfant, les larmes des femmes sèchent vite. Ces amours violentes comme l’orage passent comme lui ; et il ne demeure rien d’elles que les ravages qu’elles ont faits. Votre Fanny se résignera… Et puis, qu’est-ce qu’un chagrin de femme auprès de la colère de Dieu ?
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Ces gens assemblés ne parlaient ni d’argent, ni de femmes, ni des petits évènements de leur vie quotidienne. Ils n’avaient point d’autre souci que l’art, la littérature, la politique, et, par un contraste déconcertant, leur émotion s’exprimait en paradoxes bizarres. L’argot des ateliers, ou du boulevard, donnait une forme ironique à leurs enthousiasmes sincères et à leurs sincères indignations. L’un débitait des folies sur un ton sérieux ; l’autre disait légèrement des choses graves.
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Elle fréquentait ce monde composite qui touche à tous les mondes, où l’on trouve des artistes, des hommes de lettres, des amateurs, des bohèmes, des journalistes, des bourgeois intelligents, d’anciens ministres, de jeunes députés, de très honnêtes femmes et des femmes faciles, des gens presque illustres et des gens presque tarés.
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Fanny était une païenne. Elle bornait son désir et sa curiosité au monde visible, où elle ne cherchait que le bonheur. Elle ne comprenait pas qu’on eût fondé des systèmes de morale sur la vertu purificatrice de la douleur ; elle n’éprouvait aucune velléité de se racheter par l’épreuve, ne se croyant point déchue ; et tous les romanciers russes réunis n’auraient pu la convertir à la religion de la souffrance humaine.
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Oui, dans ce siècle d’impiété et d’insolence où tant de chrétiens se relâchent et se déshonorent par des compromissions, je veux que mon fils soit un chrétien véritable, chrétien par ses sentiments et par ses actes, scrupuleux, tenace, intransigeant.
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La sœur du capitaine ne lui ressemblait pas.
Elle gardait, à cinquante ans, un charme puéril et candide, et ce n’était guère qu’une vieille enfant. A force de traîner dans les chapelles, ses robes conservaient une odeur d’encens, de jacinthe, de rose blanche. Ses joues étaient pâles comme des hosties. Ses mains semblaient modelées dans la cire des cierges neufs. Mlle Cariste ne soupçonnait même pas l’amour, la curiosité, l’ambition, cette « triple concupiscence » qui est l’effet du péché originel. Son âme, engourdie dans l’innocence et l’ignorance, était toute fraîche encore du baptême. Ses jours s’égrenaient comme un chapelet d’ivoire. Elle brodait des nappes d’autel, faisait des sirops et des confitures, reprisait les housses des meubles et les rideaux éblouissants des fenêtres (…) Et c’était le bonheur, un bonheur tiède comme une chaufferette de vieille fille, clos comme un béguinage, pâle comme un printemps du Nord.
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Une femme sait toujours, ou devine, comment une autre femme se comporte dans sa vie secrète. Un homme ne sait jamais quel personnage son meilleur et plus intime ami devient, lorsqu’il est seul avec une femme. Car l’homme amoureux, ou dominé par le désir, la femme est seule à le connaître. De là ces différences dans le jugement que portent sur le même individu sa maîtresse et son ami. Ils ne parlent pas du même homme.
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L’homme ne connaît bien la femme que s’il a dans sa sensibilité, une nuance légère de féminité et la femme n’est pour lui une amie complète et sûre que si elle a dans l’intelligence une nuance de virilité. C’est le secret des liaisons qui durent et des mariages heureux.
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Je possédais enfin le document orphique de Thasos ! Négligeant la traduction de Louis Percier, je m'attaquai au texte grec qui avait été relevé avec beaucoup de soin et de clairvoyance. Mon interprétation personnelle, - que j'ai donné dans le chapitre XXI des Oracles et Mystères, - s'accorde sur la plupart des points avec celle de Percier. Toutefois, je suis encore stupéfait qu'il ait pris la liberté de traduire

ἔριφος ἔς γάλα ἔπετες

par cette phrase "blanc comme un chevreau tombé dans du lait". Il a forcé le sens pour en tirer une métaphore élégante. Mais je soutiens et je soutiendrai opiniâtrément qu'il n'avait pas le droit de prendre une telle liberté avec un texte qui, d'ailleurs, est complètement inintelligible. Je lis, exactement comme dans les inscriptions de Pétilie et d'Eleutherna : "Chevreau, tu es tombé dans le lait !" Et j'avoue que cette formule rituelle, partout identique, n'a jamais été et ne sera peut-être jamais expliquée. Mais, comme a dit Salomon Reinach, "l'étude des rituels antiques est un champ obscur hanté par les feux follets qui nous font souvent entreprendre de longues courses pour nous laisser dans une fondrière".
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- Je ne prétends pas que tu fasses un sacrifice, reprit mon oncle. Je souhaite, au contraire, que tu accomplisses ta destinée. Toutes les femmes ne sont point nées pour les soins du ménage. De même qu'il y a des hommes de génie, il y a des femmes élues par la nature pour s'apparier à eux. Rarement ils se rencontrent : ils s'attendent, s'espèrent, se cherchent toujours, et, de déception en déception, ils traînent jusqu'à la mort leur désir et leur nostalgie. Mais quelquefois, passant l'un près de l'autre, ils se devinent, ils se reconnaissent, amants prédestinés; ils s'unissent, et la beauté de leur amour demeure comme un exemple aux hommes. Crois-moi, Hellé, un mariage vulgaire, pourvu qu'il réunisse ce que le monde appelle les conditions de bonheur - c'est à dire la fortune, la beauté, les titres, - pourra t'offrir quelque appât : garde-toi de te prendre à ce piège. Ce serait trahir à l'avance ton légitime possesseur.
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Toute sa vie, elle avait aimé, elle avait cherché le frisson du risque, suprême volupté des êtres qui ne sont pas voluptueux, plaisir du joueur, plaisir de la froide séductrice. Maintenant, elle y trouvait l'oubli de ses déceptions et de ses résignations, défaites masquées en vertus.
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Adélaïde Lafarge était une des gloires culinaires du canton. Ses pâtés, ses clafoutis, ses confits étaient célèbres. Mais son triomphe, c'étaient les choux ou casse-museaux.
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La cuisine, dans toutes les maisons respectables, est sombre parce que le sombre n'est pas salissant. Elle est encombrée parce qu'elle est hospitalière aux gens et aux bêtes. Les vieux s'y assoient dans l'âtre même, et ils posent leurs bols et leurs assiettes sur les pommes creuses des chenets.
Les mouches y bourdonnent. Les poulets y cherchent leur vie dans les rognures et les épluchures. Les chats et les chiens s'y disputent la bonne place devant le foyer. Les gentils petits cochons, noirs et roses, y frétillent des oreilles et de la queue. On y sent les bonnes odeurs des viandes qui mijotent indéfiniment dans les poêlons de terre, de la soupe aux choux, de l'oignon "bien revenu", des cèpes farcis à l'ail, du poulet sauté, des flougnardes et des clafoutis, des tourtous et des crêpes. Et le soir, les servantes y filent la laine ou le chanvre, à la clarté fumeuse du chalelh.
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Il y en avait beaucoup, en 1839, de ces filles chastement romanesques, qui voyaient le monde réel à travers leur voile blanc d'enfant de Marie. Figures charmantes que le mariage et la maternité laissaient toujours un peu virginales, figures de pénombre, enfermées dans les vieilles maisons où leur vie s'écoulait comme s'était écoulée la vie de leurs mères et de leurs grand'mères, toutes dévouées à d'humbles devoirs, souvent sacrifiés, toujours résignées. Que reste-t-il d'elles après un siècle ? Un nom qui flotte sur les souvenirs d'une famille, ainsi qu'un pétale de fleur sur des eaux dormantes, quelques bibelots conservés à titre de "curiosités", des portraits, souvent médiocres, toujours attendrissants par les bandeaux plats, les corsages "à châle" pudiquement croisés sur les guimpes modestes, les manches traînantes, la suavité conventionnelle des visages à la bouche petite, aux grands yeux.
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Marcelle Tinayre
Il y en avait beaucoup, en 1839, de ces filles chastement romanesques, qui voyaient le monde réel à travers leur voile blanc d'enfant de Marie. Figures charmantes que le mariage et la maternité laissaient toujours un peu virginales, figures de pénombre, enfermées dans les vieilles maisons où leur vie s'écoulait comme s'était écoulée la vie de leurs mères et de leurs grand'mères, toutes dévouées à d'humbles devoirs, souvent sacrifiés, toujours résignées. Que reste-t-il d'elles après un siècle ? Un nom qui flotte sur les souvenirs d'une famille, ainsi qu'un pétale de fleur sur des eaux dormantes, quelques bibelots conservés à titre de "curiosités", des portraits, souvent médiocres, toujours attendrissants par les bandeaux plats, les corsages "à châle" pudiquement croisés sur les guimpes modestes, les manches traînantes, la suavité conventionnelle des visages à la bouche petite, aux grands yeux.
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Uzerche est une ville très ancienne, élevée sur un promontoire à pic, dans une boucle de la Vézère. Vue d'en bas, elle dresse contre le ciel la découpure fantastique de ses clochers romans, de ses remparts à poternes, de ses tourelles pointues. Cela compose une masse architecturale étrangement hérissée et dentelée. De vastes lucarnes en accent circonflexe brisent les lignes irrégulières des toits. Sur la pente roide qui descend vers la rivière, des murs de soutènement retiennent des jardins sans profondeur, dont les touffes vertes rompent la sévère uniformité de la pierre sombre et de l'ardoise presque noire. A l'intérieur de la ville, les rues montantes ou tournantes, aux brusques déclivités, passent sous des portes gothiques, entre des maisons qui ressemblent à des forteresses, et qu'on appelle dans le pays des châteaux.
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Le champ de courses de Pompadour s'étend devant le magnifique château du XVIe siècle. De grands arbres encadrent la pelouse verte où des barrières blanches jalonnent la piste. Ce dimanche d'août 1839, le gros bourg qui s'agglomère autour du haras était envahi par une foule bariolée et bruyante. Toutes les classes et tous les métiers se coudoyaient. Des fermiers étaient venus en "chartou". Ils avaient des vestes courtes en bure tissée à la maison et de grands chapeaux de poil de lièvre. Leurs femmes arboraient des devantaux de couleur, de grosses jupes noires, des fichus imprimés, des bonnets à ruches sous la pailhole nouée de velours, ou bien la coiffe charmante du Haut-Limousin, le barbichet de tulle et de dentelle aux transparentes ailes blanches. Ces gens s'asseyaient dans l'herbe à l'ombre de leurs charrettes dételées. Ils buvaient du vin blanc et mangeaient de lourds gâteaux ou du saucisson à l'ail ; une odeur de graisse chaude émanait des baraques où l'on vendait des beignets. Dans les tribunes, les dames de la société étaient assises, tenant des lorgnettes ou des éventails, et les messieurs se penchaient vers elles pour leur expliquer les chances des chevaux engagés.
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