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Citation de MegGomar


Ils ne restèrent pas longtemps. Tali trouva les empanadas trop grasses,
mais Gaspar les aima beaucoup. Ce n’est pas un peu bizarre que ce gosse
mange de tout ? dit-elle à Juan. À vrai dire, il ne connaissait pas d’autres
enfants, répondit-il, mais son fils avait toujours été comme ça, extrêmement
facile à nourrir, et même, il s’ennuyait s’il mangeait toujours pareil,
demandait autre chose. Peu de gens dansaient, à part quelques couples qui
ondulaient paresseusement sur “Puente Pexoa” et “Kilómetro 11”. Il faisait
lourd. De l’autre côté du fleuve, derrière les arbres, le ciel était clair, signe
que le temps allait tourner. Un vent humide soufflait, sans rafraîchir, le vent
de l’orage. La mère des deux garçons les invita à partager une sopa
paraguaya, découpée soigneusement en plusieurs parts. La fumée du gril
apportait des odeurs de viande, et Tali demanda de la monnaie à Juan pour
aller se chercher un sandwich à la saucisse. Tandis qu’elle faisait la queue,
elle entendit les conversations des hommes déjà ivres (certains la
regardaient, les yeux rouges ; à un autre moment elle aurait appelé Juan,
mais pour l’heure elle voulait éviter une bagarre). Ils buvaient du vin, qui se
vendait au litre, dans des bidons d’huile de moteur dont ils avaient aplati les
bords pour ne pas se couper. Tâchant de les ignorer, elle se concentra sur la
musique et se rendit compte qu’on ne jouait plus de chamamé. Elle se
retourna et dans la fumée, faiblement éclairée par quelques ampoules et par
la lumière de la nuit, elle vit une fille aux cheveux longs, attachés, qui
chantait une jolie zamba, j’ai peur que la nuit me prenne aussi mon âme, la
Añera est un vieux chagrin et ma seule compagnie. Quand elle retourna
auprès de Juan, qui fumait, assis sur un tronc d’arbre, il lui dit : ailleurs elle
serait arrêtée, ils arrêtent tout le monde, vous avez de la chance ici. Elle est
très belle cette fille, tu la connais ? Tali lui donna un coup sur la tête et ses
cheveux blonds tombèrent sur son visage ; soudain Juan avait l’air d’un
adolescent. Non. Et on ne va pas rester pour que tu fasses sa connaissance.
Désolé, chérie, mais je préfère largement la zamba au chamamé. Et dans
chaque verre de vin tremble l’étoile du matin, chantait la fille. Après avoir
salué et s’être présentée, elle annonça qu’elle allait chanter une chanson très
triste d’un artiste qui était malade ; elle ne le nomma pas, et Juan murmura
qu’il devait être interdit. Pourquoi es-tu revenue, alors que je commençais à
oublier, le sais-tu au moins, j’ai tant pleuré quand tu es partie, disait la
chanson, comme je suis triste de savoir qu’à la fin de cet amour il ne reste
plus rien. Juan dit à Tali qu’il n’y connaissait presque rien en musique,
c’était Rosario qui en écoutait, mais cette chanson était de Daniel Toro, qui
était interdit, en effet, alors que c’étaient des chansons d’amour. Rosario
disait que c’était stupide de l’interdire car ses chansons étaient toutes kitsch
et n’avaient rien de politique.
Kitsch, pensa Tali. Et elle faillit se mettre à pleurer. Rosario, tu as
toujours été assez snob, ma pote, ma frangine, comme tu me manques.
— Je ne sais pas si c’est vraiment plus cool maintenant, en fait. Chaque
fois qu’on me demande de tirer les cartes, je vois des morts, des tas de
morts. Et tu sais ce que je vois d’autre ? Une guerre. Pas ici, dans la
mer, dans le froid. Je n’ose pas le dire aux gens, sinon ils n’auront plus
confiance en moi.
— Je suis sûr que tu as raison, dit Juan.
Gaspar bâilla. On rentre, mon fils ? Tu as bien mangé ? Oui, la sopa,
quand ce n’est pas de la soupe, c’est super bon. Elle était très bien préparée,
reconnut Tali. La fille à la guitare présenta la dernière chanson. Quand Tali
démarra la voiture, elle entendit “Gracias a la vida”.
— Courageuse, la môme, commenta Juan. Partons. Celle-là, Rosario
l’écoutait toute la journée avec Betty et je ne veux pas que Gaspar s’en
souvienne.
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