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Citations de Mariana Enriquez (130)


Le frapper, l'ouvrir avec mes ongles, lui imprimer d'autres cicatrices, une façon d'être au plus près de lui, qu'il m'appartienne davantage. Je devais contenir ce désir, ces envies de me rassasier, de l'ouvrir, de jouer avec ses organes, comme des trophées cachés. Je m'imposais de menus châtiments : ne pas manger de toute la journée, ne pas dormir pendant soixante-douze heures, marcher à en avoir des crampes dans les jambes...D'infimes rituels, comme une gamine qui a souhaité la mort de sa mère parce que cette dernière n'a pas voulu lui acheter quelque chose, puis les remords et les petites pénitences, "je ne dirai plus de gros mots, mon Dieu, je te le promets, mais ne fais pas mourir maman", et le gros mot qui lui échappe soudain et la cavalcade la nuit pour voir si maman dans son lit respire toujours.
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C'était l'après-midi, Juancho était bourré et faisait le caïd sur le trottoir, même si plus personne dans le quartier ne se sentait menacé, ni même inquiété, par sa présence toxique. Plus loin, Horacio lavait sa voiture comme tous les dimanches, en short et claquettes, ventre tendu, proéminent, poils blancs sur le torse, radio diffusant un match de foot. Au coin, les Espagnols du bazar buvaient le maté, la bouilloire posée par terre entre les deux fauteuils inclinables qu'ils avaient mis dehors, car il y avait un beau soleil. En face, les fils de la Coca prenaient une bière à
l'ombre, et un groupe de filles qui sortaient de la douche, trop maquillées, bavardaient devant la porte du garage de Valeria. Mon père avait tenté, plus tôt, de dire bonjour et de parler avec les voisins, mais il avait fini par rentrer à la maison, comme d'habitude, tête basse, légèrement contrarié, parce que c'étaient de braves gens mais ils n'avaient pas de conversation, tous les dimanches après-midi il disait la même chose.
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Il aimait les pluies violentes et brèves de Misiones, les fleurs de terre rouge, prévude à la nuit noire et chaude, avec les étoiles qui palpitaient dans le ciel. Un scintillement, le silence, un autre scintillement, comme un cœur fatigué.
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Nous avons continué d’avancer. Il y avait plus d’oxygène. Le tronc des arbres est devenu plus fin. Laura a remarqué, la première, quelque chose dessus, qu’il n’était pas facile de distinguer au premier coup d’œil : des mains. De nombreuses mains, les unes sur les autres, étreignant le tronc des arbres. Coupées, amputées, collées aux troncs, paumes pliées, doigts arqués. Des mains humaines, rigides et crispées. Toute la forêt était ainsi à cet endroit. Des arbres et des arbres de mains mortes. Quelqu’un les installait avant que survienne la rigor mortis. Sur le premier tronc, on en a compté douze. D’autres en avaient davantage encore. Certains n’en avaient qu’une. J’ai pensé à la Main de Gloire que je désirais tant.
C’est un collectionneur, ai-je dit. Un artiste. Ou bien ils sont plusieurs. À droite de la Forêt des Mains, telle que nous l’avons baptisée, se trouvait ce que Juan indiquerait plus tard sur la carte comme la Vallée des Torses. On aurait dit des pierres dressées ou des tombes. Aussi symétriques que dans un cimetière militaire. Mais c’étaient des torses humains. Sans bras, sans tête ni jambes. Certains avec la peau marquée de personnes âgées, d’autres avec de beaux seins de jeune fille, des torses d’enfants, gros, maigres, bruns, pâles, des ventres plats, des ventres obèses, des poitrines de femmes qui avaient allaité. J’ai reconnu sur un dos les cicatrices laissées par des ongles, identiques aux marques qu’exécute Juan pendant le Cérémonial, comme celles de Stephen.
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- L'autre jour j'ai lu un truc sur Internet qui m'a semblé... je ne sais pas, n'importe quoi.
- Tu ne devrais pas passer autant de temps sur Internet, ça rend fou. Mais raconte-moi.
- Je ne me souviens pas très bien, mais plus ou moins les Japonais croient qu'après la mort les âmes migrent dans un lieu où le nombre de places est limité, disons. Et quand cette limite est atteinte, quand il n'y a plus de place pour les âmes, elles reviennent dans ce monde. Ce retour annonce la fin du monde, en réalité.
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Comme il détestait ces films et feuilletons TV où on voyait des malades héroïques qui souffraient en silence ! Il connaissait suffisamment les hôpitaux et la maladie pour savoir que la plupart des patients étaient tyranniques, odieux, et faisaient tout pour que les autres souffrent autant qu’eux. (p.305)
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Il n'obtint pas de réponse, ferma les yeux. Il vit une fille blonde, nue, qui marchait sous un ciel sans étoiles. Perdue, mais pas effrayée. Elle dansait sur un chemin en terre rouge, avec des fils de laine qui pendaient de son bras et de ses jambes, libre, déchaînée. Il vit une planète noire au-dessus du fleuve. Il vit sa grand-mère sans lèvres et sans nez. Il vit des bougies dans la forêt et une jeune femme à quatre pattes marchant sur des os. Il vit des hommes et des femmes qui couraient, tous mutilés, certains sans jambes, se traînaient ou tournaient sur eux-mêmes. Il vit un chien blanc affamé, avec des sortes de boules de métal incrustées sur l'échine en guise de colonne vertébrale. Il vit une fille avec une robe rouge, assise à côté du marais ; quelque chose sortait de l'eau et lui mangeait les jambes, mais elle ne se plaignait pas. Il vit un tronc humain pâle dans un champ de fleurs jaunes.
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C’est comme si on montait sur une échelle tous ensemble et à un moment je dis : « Moi je reste ici ». Et de cette marche, je les regarde, ils sont heureux, plus haut. Avait-il toujours été comme ça ? Ce n’était pas de la timidité, ni de la réserve, ni de l’adolescence, comme pensaient les autres. Ça ne passerait pas. Il pouvait danser seul, être bouleversé dans sa chambre par un livre, mais quand la soirée tournait à la fête, il décrochait. Les autres se fondaient dans un film qu’il pouvait regarder, mais auquel il lui était impossible de participer. Alors il devenait invisible, ce qui n’était pas difficile car ils étaient tous ivres. Et il retournait dans sa chambre, où il éprouvait le plus grand soulagement. (p.621)
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Une nouvelle fois, elle remua la nourriture dans son assiette, mais réussit à avaler deux bouchées et un 7 Up entier, c'était au moins du sucre. Puis elle sortit en direction de la plage, qui se trouvait à un bloc à peine de distance ; il fallait passer par un chemin pavé entouré d'arbustes qui lui coupèrent la respiration, et si quelque chose se cachait là, mais elle courut et arriva aux anciens escaliers en bois et à la mer, la plage immense diaphane, au sable plus clair que sur le reste de la côte, et le ciel d'un bleu violacé parce qu'il allait pleuvoir. Elle s'assit sur une chaise, sous un parasol, et observa des quadras au corps encore svelte jouer au foot ; elle envisagea de s'approcher, d'en attirer un dans son lit peut-être, pourquoi pas, cela faisait un an qu'elle ne baisait pas, mais elle savait que non, le désespoir se sent, et elle empestait. Elle vit des filles défiant le vent avec leurs maillots de bain. Elle attendit la pluie. Se laissa mouiller. Et quand sa longue chevelure se mit à s'égoutter sur son pantalon, quand l'eau froide coula dans son cou vers sa poitrine et son ventre, elle sortit de son sac son rasoir et s'entailla le bras avec précision, une, deux, trois fois, jusqu'à ce que le sang apparaisse, qu'elle ressente la douleur et quelque chose de semblable à un orgasme.
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Sa mère lui avait donné une gifle qui l'aurait fait pleurer si Josefina n'avait pas été habituée à ces crises de stress qui se terminaient par des larmes et des étreintes et des "ma petite fille, ma petite fille, et s'il t'arrivait quelque chose". Quoi, par exemple ? avait pensé Josefina. Puisqu'elle n'avait pas l'intention de se jeter dans le vide. Puisque personne n'allait la pousser. Puisque tout ce qu'elle voulait, c'était voir si l'eau reflétait son visage, comme cela arrivait toujours dans les puits des contes de fées, son visage comme une lune avec des cheveux blonds dans l'eau noire.
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Tous les jours je pense à Adela. Et si mes souvenirs ne surgissent pas au cours de la journée- taches de rousseur, dents jaunes, cheveux blonds trop fins, moignons à l'épaule, bottines en peau de chamois- il revient la nuit quand je rêve.
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Tu possèdes quelque chose à moi, dit-il, je t’ai laissé quelque chose, j’espère que ce n’est pas maudit, j’ignore si je peux te donner quelque chose qui ne soit pas souillé, qui ne soit pas obscur, notre part de nuit. (p.337)
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Deux femmes suivirent, se tenant la main. Une jeune, une plus âgée. Mère et fille ? L'Obscurité avala la tête de la plus âgée et, pendant un moment, son corps décapité continua d'avancer. La jeune ne la regarda même pas, en tout cas elle ne fut pas impressionnée. Elle entra dans l'obscurité avec détermination et un sourire, entraînant avec elle le corps sans tête, par le bras. Elles disparurent, laissant seulement derrière elles des traces de sang jusque sur les fidèles des premiers rangs. Ces derniers, maintenant, reculaient un peu, car l'Obscurité descendait, tel un plafond de ténèbres ou une gorge profonde, comme si elle avait des yeux et pouvait choisir.
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Dans la grotte de la Brujeria, il y a un gardien, qu'on appelle un invunche. C'est un bébé entre six mois et un an que les sorciers ont enlevé et qu'ils martyrisent : ils lui brisent les jambes, les mains et les pieds, et quand il ont fini, ils lui tournent la tête à cent-quatre-vingts degrés, comme dans l'Exorciste. A la fin, ils lui entaillent profondément le dos, sous l'omoplate, et enfoncent son bras droit dans la plaie. Une fois la blessure guérie, le bras reste coincé dedans et l'invunche est prêt. On le nourrit avec du lait humain et, plus tard, également avec de la chair humaine. Il doit marcher comme une bestiole à moitié écrasée.
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Grâce à la maladie, lui avait-il expliqué ensuite. Tout ce qu'il faisait était une négociation, un calcul. Comme s'il devait porter une pièce fragile, en cristal, qu'il ne pouvait jamais poser, pas même en un lieu sûr, et était obligé de se déplacer avec prudence pour ne pas l'abimer, la briser; anticiper chaque mouvement, toujours sur la pointe des pieds, se demandant si tel geste soudain serait celui qui provoquerait l'accident et la cassure définitive.
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C'est comme si on montait sur une échelle tous ensemble et à un moment je dis : " Moi je reste ici. " Et de cette marche, je les regarde, ils sont heureux, plus haut. Avait-il toujours été comme ça? Ce n'était pas de la timidité, ni de la réserve, ni l'adolescence, comme pensaient les autres. Ca ne passerait pas. Il pouvait danser seul, être bouleversé dans sa chambre par un livre, mais quand la soirée tournait à la fête il décrochait. Les autres se fondaient dans un film qu'il pouvait regarder, mais auquel il lui était impossible de participer. Alors il devenait invisible, ce qui n'était pas difficile car ils étaient tous ivres. Et il retournait dans sa chambre, où il éprouvait le plus grand soulagement.
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Dans les tempes, ça bat, ça bat.
L’ombre.
Le froid canon du pistolet.
Dix tonnes.
Dans mon cœur, un demi-ton en mode mineur.

Kosovel
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Nous devrions tous être orphelins, grandir seuls, il suffirait que quelqu'un nous apprenne à cuisiner et à nous laver quand on est petits et basta.
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Mercedes est la prêtresse de dieux horribles. On ressemble toujours aux dieux qu’on adore.

(Alto, p.791)
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A cet âge, on a de la musique dans la tête, tout le temps, comme si on avait une radio greffée sur la nuque, sous le crâne. Un jour, cette musique baisse de volume ou simplement s'arrête. Lorsque cela arrive, on n'est plus adolescent. Mais ce n'était pas le cas, loin de là, à l'époque où on parlait avec les morts. La musique était alors à plein volume, et c'était celle de Slayer, Reign in Blood.
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