Marine Pelbery

Le Destin ? Qui y croit encore vraiment de nos jours ? Les hommes aiment à croire au libre arbitre, à la possibilité d’être maîtres d’eux-mêmes, de leurs vies et de ce qu’il s’y passe. Ils aiment penser que, si quelque chose de bien leur arrive, c’est uniquement parce qu’ils y ont travaillé, parce qu’ils ont fait de leur mieux pour atteindre leur but. Il n’y a que quand cela tourne mal que les hommes rejettent la faute sur autre chose ou qu’ils recherchent de l’aide ailleurs, sur une entité supérieure par exemple. Quant à moi, je fais partie de ces gens qui ont toujours voulu croire que le monde ne peut pas s’arrêter à cela. Qu’il ne peut pas être aussi égoïste et superficiel qu’il l’est aujourd’hui, qu’il ne peut pas être aussi réaliste ; qu’il y a bien trop de coïncidences, bien trop de phénomènes inexpliqués pour que tout ne relève que de notre ressort. Mais aussi fort ai-je envie d’y croire, j’ai besoin de le voir, de le voir de mes propres yeux pour y croire vraiment. Pour être rassurée. J’ai vu la magie de mes propres yeux et j’ai fini par y croire. Mais le Destin[…]

Mon ventre palpite, qu’est-ce qui cloche chez moi ? J’ai déjà couché avec des hommes rencontrés en boîte que je ne connaissais pas plus que ça et cela ne m’a jamais fait cet effet. Mais si, pour une fois, je veux trouver quelqu’un de bien, il faut que j’arrête ce comportement. Je ne sauterai pas au cou d’Aloïs avant d’avoir appris à le connaître, avant d’être certaine que ce n’est pas un psychopathe. Mes hormones peuvent aller se faire voir. Une certaine tension crépite autour de nous et aucun ne daigne parler. Il faut que je brise ce silence, c’est quelque chose que je ne supporte pas, tout comme ce regard chocolat intense rivé sur ma personne. Le papillon s’est tranquillement posé sur le dossier d’une chaise, sa place favorite.

La chaleur de son torse tout proche de mon corps me fait déglutir. Dans l’attente de la suite, je ne bouge pas. Sa main vient se poser sur la mienne qui tient le manche de la poêle et il parle tout proche de mon oreille, affolant les battements de mon cœur :
— Ton geste doit être plus sec et moins fort.
Avec son corps tout juste à quelques centimètres du mien, avec son souffle chaud qui vient s'échouer contre mon cou à chacun de ses mots, je ne peux que dire « oui » à tout ce qu’il prononce à mon oreille, une douce chaleur montant en moi. Je fais tout mon possible pour rester concentrée sur la crêpe et non sur la présence de Regard Chocolat derrière moi.

En réalité, je n’ai pas confiance. Il est trop beau, trop parfait pour l’être vraiment. Sans parler du fait que ses phrases énigmatiques sur les papillons me semblent pleines de sous-entendus que je ne comprends pas. Mon cœur a déjà trop souffert jusqu’à présent. La prochaine fois qu’il s’ouvrira à quelqu’un, je veux que ce soit pour de bon, pour que cette personne en prenne soin, qu’elle le chérisse plus encore que si c’était le sien. Peut-être que je suis trop exigeante, peut-être que j’en demande trop à cette gent masculine si tentante, mais si volatile en amour. L’inconstance fait-elle partie intégrante de ces derniers ?

Ce regard qui semble me dévorer me ronge le bas du ventre et, ne le supportant plus, je détourne le visage. Ma température corporelle est montée en flèche en l’espace de deux secondes. Et là, déposés sur l’accoudoir vers lequel je me suis tournée, trônent les vêtements qu’il a sélectionnés pour moi, les sous-vêtements marron bien en évidence sur le dessus. On inspire… On expire… Bien, voilà, encore une fois Prune. On inspire… Et on expire… Je finis par me retourner vers lui une fois la tension légèrement tombée. Il m’offre un sourire à la fois espiègle et charmeur à faire fondre le plus dur des cœurs de pierre.

Je prends une grande inspiration. Paniquer ou m’énerver ne servirait à rien, pas plus que de m’apitoyer sur mon sort. Je dois m’efforcer de voir les bons côtés. D’abord, la magie existe et cela, c’est plutôt cool même si, malheureusement pour moi, je n’ai hérité que d’un papillon psychotique. Ensuite, j’ai le choix, on ne m’oblige pas à devenir familier même si, malheureusement pour moi, si je refuse de le devenir, un certain papillon fera de ma vie un enfer. Et enfin… enfin, il faut avouer quej’aurais pu tomber sur un laideron comme sorcier, ce qui n’est décidément pas le cas. Loin de là même. Très loin…

" C’est l’exercice le plus
difficile auquel j’ai jamais été confrontée sur le plan

mental : considérer comme faux tout ce que mon

esprit, mes sens, par principe, tiennent pour vrai,

comme Descartes lorsqu’il a décidé de considérer

comme fausses toutes les connaissances anciennes de

son temps et de ne tenir pour vrai que celles dont

l’objectivité pourrait être prouvée par le biais de la

déduction logique et du raisonnement intellectuel. "




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Je veux que quelqu’un me serre contre lui et me dise que tout ira bien. Que les nécromanciens ne sont que des petits scarabées et que nous nous débarrasserons d’eux d’un simple coup de pied. Que j’ai choisi moi-même d’être attirée par Aloïs et non que le Destin nous a rassemblés. Cependant, je sais que ce n’est pas possible. Ma vie a changé et je dois l’accepter. J’ai déjà vécu des situations bien pires que cela même si la magie n’avait rien à y voir. Aloïs me plaît quand même et je dois l’accepter. Bientôt, je craquerai et deviendrai son familier, je le sais au fond de moi.

J’ai l’impression que nous nous connaissons depuis longtemps alors que cela ne fait que quelques jours. Et, une fois que j’arrive à ne plus penser au fait qu’il est incroyablement sexy et à me détendre, Aloïs est plutôt de bonne compagnie. Il est amusant et sait étonnamment mettre à l’aise lorsqu’il le veut. Nous passons tout notre repas à commenter en temps réel la série que nous regardons. Il est tout aussi critique que moi.
Mais le moment que je redoute finit par arriver. Nous devons partir pour ce fameux bar et une certaine appréhension s’empare de moi.

Oui… Me toucher peut être une solution. Je vais tellement divaguer que je ne penserai plus à rien d’autre. C’est à cet instant que je me rends compte que mon cas est désespéré. Il t’a à peine touché le bras, Prune ! Qu’est-ce que ce serait quand… Stop ! Je jure qu’en temps normal, je ne suis pas h24 en chaleur. Je ne comprends pas ce qui m’arrive ces derniers jours. Trop d’informations d’un coup peut-être, trop d’émotions, mon esprit doit chercher le moyen de décompresser tout en me raccrochant à la réalité. À quelque chose qu’il sait vrai et concret.