Marine Pelbery

Le Destin ? Qui y croit encore vraiment de nos jours ? Les hommes aiment à croire au libre arbitre, à la possibilité d’être maîtres d’eux-mêmes, de leurs vies et de ce qu’il s’y passe. Ils aiment penser que, si quelque chose de bien leur arrive, c’est uniquement parce qu’ils y ont travaillé, parce qu’ils ont fait de leur mieux pour atteindre leur but. Il n’y a que quand cela tourne mal que les hommes rejettent la faute sur autre chose ou qu’ils recherchent de l’aide ailleurs, sur une entité supérieure par exemple. Quant à moi, je fais partie de ces gens qui ont toujours voulu croire que le monde ne peut pas s’arrêter à cela. Qu’il ne peut pas être aussi égoïste et superficiel qu’il l’est aujourd’hui, qu’il ne peut pas être aussi réaliste ; qu’il y a bien trop de coïncidences, bien trop de phénomènes inexpliqués pour que tout ne relève que de notre ressort. Mais aussi fort ai-je envie d’y croire, j’ai besoin de le voir, de le voir de mes propres yeux pour y croire vraiment. Pour être rassurée. J’ai vu la magie de mes propres yeux et j’ai fini par y croire. Mais le Destin[…]

La chaleur de son torse tout proche de mon corps me fait déglutir. Dans l’attente de la suite, je ne bouge pas. Sa main vient se poser sur la mienne qui tient le manche de la poêle et il parle tout proche de mon oreille, affolant les battements de mon cœur :
— Ton geste doit être plus sec et moins fort.
Avec son corps tout juste à quelques centimètres du mien, avec son souffle chaud qui vient s'échouer contre mon cou à chacun de ses mots, je ne peux que dire « oui » à tout ce qu’il prononce à mon oreille, une douce chaleur montant en moi. Je fais tout mon possible pour rester concentrée sur la crêpe et non sur la présence de Regard Chocolat derrière moi.

Je jette un coup d’œil à mon reflet : certes, ma tenue n’est pas la plus sexy, mais Aloïs m’a déjà vue beaucoup plus mal habillée que cela, il s’en remettra. Et puis de toute façon, une femme n’est pas forcée d’être toujours bien apprêtée ! Je souris à mon image en miroir ce qui illumine mon regard gris orageux et contraste fortement avec mon teint blafard et mes cheveux noir ébène.

Prendre une douche a toujours un effet apaisant sur moi. J’y passe encore bien une heure, en profitant pour m’occuper de mes cheveux avec après-shampoing et masque, de mon corps avec gel douche parfumé et gommage, histoire de me détendre au maximum.

S’il existe une divinité de la poisse, nul doute qu’elle est actuellement en train de s’acharner sur ma personne. Et dans ces cas-là, il n’y a qu’une seule solution : faire avec, ne pas baisser les bras et croiser les doigts pour que les choses s’arrangent un jour, rapidement de préférence. J’inspire un grand coup dans l’espoir d’évacuer un peu la tension qui est montée en moi.

J’ai beau me dire que ce sont des conneries, une petite part de moi ne peut s’empêcher de me dire et si ? Et si c’était vrai ? J’ai toujours refusé qu’on me lise mon avenir et je le refuserai encore aujourd’hui si j’ai à le faire.

Les grandes « têtes » sur les cartes sont appelées les Arcanes Majeurs. Le truc, c’est que ces derniers existaient bien avant le jeu de tarot lui-même et quand les cartes sont apparues, les Gardiens en ont fait leur symbole. Chaque Arcane Majeur a sa carte. Le Bateleur, celle que tu as reçue, est le numéro un. Il présage un commencement, quelque chose de nouveau à venir.

J’hésite entre demander des explications quitte à finir encore plus embrouillée qu’avant et faire comme si je n’avais pas entendu et que je n’avais jamais eu de carte dans la main. La curiosité, cette vicieuse, prend le dessus.

Je veux finir mon week-end sur une bonne dose de banalité, est-ce trop demandé ? Je vais les rejoindre sur le canapé quand ma porte d’entrée s’ouvre à la volée, me faisant sursauter et me retourner dans la foulée, le cœur à cent à l’heure. Un Asiatique aux yeux verts se tient sur le pas de ma porte. Il doit presque atteindre les deux mètres.

D’abord, il me sort des embrouilles et ensuite il en alimente le feu ! Tout cela n’est-il qu’un jeu pour lui ? Me mettre mal à l’aise face à Jade a-t-il des vertus euphorisantes sur sa petite personne ? Toujours est-il que sa réponse plaît beaucoup à Jade qui arbore sur-le-champ un petit sourire entendu à mon attention. Un de ceux qui veulent dire : « vas-y, lance-toi, la nuit t’appartient cocotte et ses biscottes aussi ! ».

Je ne suis pas une fille à secrets, c’est très loin d’être mon truc et cela me met beaucoup plus mal à l’aise qu’autre chose. Cette dernière continue à me reluquer, attendant avec impatience une réponse de ma part que je peine à imaginer.

J’ai grandi dans un monde où le meurtre est puni par la loi, et je me retrouve face à un sorcier qui vient de réduire en cendre un homme, un nécromancien plus exactement.Remarquant que je ne parviens pas à détacher mes yeux du tas du mage noir parti en fumée, Aloïs s’empare tendrement de ma main.

Je fais le choix de faire comme si rien ne s’était passé, c’est sans doute la meilleure chose à faire en cas de doute.

C’est plus fort que moi, j’ouvre les yeux. Mon esprit encore embrumé n’a pas compris l’absurdité de la chose et s’est fait berner. Je me réveille face à un Aloïs plus fier de lui que jamais. Je m’empare de la couette et la ramène sur mon visage.

Avant que je ne sombre pour de bon, ses lèvres viennent déposer un tendre et délicat baiser sur ma joue et je ne sais dire si je l’ai rêvé, ou si, tel le battement d’aile de papillon, ce baiser, bien qu’éphémère, a bel et bien eu lieu.
 

Je veux que quelqu’un me serre contre lui et me dise que tout ira bien. Que les nécromanciens ne sont que des petits scarabées et que nous nous débarrasserons d’eux d’un simple coup de pied. Que j’ai choisi moi-même d’être attirée par Aloïs et non que le Destin nous a rassemblés. Cependant, je sais que ce n’est pas possible. Ma vie a changé et je dois l’accepter. J’ai déjà vécu des situations bien pires que cela même si la magie n’avait rien à y voir. Aloïs me plaît quand même et je dois l’accepter. Bientôt, je craquerai et deviendrai son familier, je le sais au fond de moi.

Pourtant, loin de me rassurer, les papillons dans mon ventre s’affolent. S’il avait été un connard fini, cela aurait été beaucoup plus simple pour moi de ne pas croire à cette histoire d’âmes sœurs. Malheureusement, plus je passe de temps avec Aloïs, plus je l’apprécie. Sans parler de la folle envie que j’ai de lui, mais ça, ça commence à devenir une habitude qui, d’après les dires de Nate et Alera, n’ira pas en s’améliorant jusqu’à ce que j’accepte de devenir le familier officiel d’Aloïs.

— Mais ne t’attends pas à ce que je tombe amoureuse de toi en un regard, comme ça, juste parce qu’on m’a dit qu’on était des âmes sœurs, le préviens-je avant qu’il ne se fasse des idées.
Il se mordille la lèvre pour retenir son sourire et ce geste réveille ma libido qui s’est pourtant plutôt bien tenue jusqu’à maintenant.

Mon papillon ne cesse de m’embrasser le cou, m’octroyant toujours plus de réconfort jusqu’à ce que je sois apte à écouter les paroles du sorcier, dans un état second. Il prend mon visage entre ses mains et, le regard doux, mais ferme, me presse de courir jusqu’à sa voiture. J’acquiesce et, sans lâcher ma main, il me guide jusqu’au véhicule à grandes enjambées. Il m’ouvre la porte en vitesse, attache ma ceinture et s’installe rapidement côté conducteur avant de quitter le parking à vive allure.

Après tout, ce n’est qu’une coupure d’électricité, rien de grave, n’est-ce pas ? Mais la jeune femme ne me laisse pas le temps de réfléchir plus que cela. Quelque chose passe entre mes jambes et se soulève d’un coup, m’arrachant un nouveau cri.