AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Partemps


Le regard (θεάω) qui donne à voir le visage de l’être.
L’aspect (le visage) de l’être (είδος).
Le dieu (δαίμων) grec qui, regardant, se présente dans le hors-retrait.
Ce qui perce du regard dans le familier : l’in-quiétant.
L’apparition de l’inquiétant dans le regard de l’homme

« Regarder » se dit en grec θεάω. De façon remarquable — ou devrions-nous nous en émerveiller ? — seule est connue la forme moyenne θεάμου, que l’on traduit par « contempler » et « être spectateur » ; d’où le mot de θέατρον, le lieu du spectacle, le « théâtre ». θεάμου signifie toutefois, pensé de manière grecque : se ménager un regard [8], θεά, un regard au sens du visage qu’offre et que présente quelque chose. θεάω, regarder, ne signifie par conséquent nullement voir au sens d’examiner et de considérer à travers une représentation, par quoi l’homme se tourne vers l’étant en tant qu’« objet » et le saisit. θεάω désigne bien plutôt le regard dans lequel celui qui regarde se montre lui-même, apparaît et « est là » (je souligne). θεάω est le mode fondamental sur lequel celui qui regarde s’offre et se présente (δαίω) lui-même dans le visage de son essence, c’est-à-dire émerge, en tant que non celé, hors du retrait. Le regard, même le regard humain, n’est pas, éprouvé de façon originaire, la saisie de quelque chose, mais l’exposition de celui qui voit, à partir de laquelle un regard qui saisit devient seulement possible. Si l’homme ne fait plus l’expérience du regard qu’à partir de lui-même, et conçoit le regard précisément à partir « de soi » en tant que Je et que sujet, le regard n’est plus alors qu’une activité « subjective » tournée vers des objets. Si l’homme, toutefois, ne fait pas l’expérience de son propre regard, de ce qu’est le regard humain, à travers la « réflexion » sur soi de celui qui se représente lui-même voyant, si bien plutôt, laissant venir à lui sans la moindre réflexivité ce qu’il rencontre, il fait l’expérience du regard à l’aune du regard que lui lance l’homme qui vient à sa rencontre, alors le regard de l’homme rencontré se révèle comme ce en quoi il attend lui-même la venue de l’autre, c’est-à-dire se découvre lui-même comme tel, et est. Le regard qui laisse venir à lui ce qu’il rencontre, le regard humain ainsi éprouvé dévoile l’homme rencontré lui-même dans le fond de son être.

Pour nous autres hommes modernes, et plus largement pour l’humanité postérieure au monde grec, tout est depuis longtemps à ce point renversé que nous comprenons le regard exclusivement comme une représentation humaine dirigée vers l’étant. Par là le regard n’est nullement pris en vue, mais seulement considéré comme une « activité » s’accomplissant elle-même, à savoir comme l’acte de la re-présentation. Re-présenter signifie ici : poser devant soi, mettre devant soi et maîtriser, s’emparer de quelque chose. Les Grecs font l’expérience du regard tout d’abord et proprement comme du mode sur lequel l’homme, avec les autres étants eux-mêmes, mais en tant qu’homme, émerge et vient en présence dans son être même . En termes modernes, et donc insuffisants, mais pour nous sans doute plus intelligibles, nous pouvons dire de manière plus concise : le regard, δέα, n’est pas l’acte de regarder en tant qu’activité ou acte du « sujet », mais le visage en tant qu’émergence de l’« objet » qui vient à notre rencontre. Regarder, c’est se montrer, épiphanie dans laquelle l’essence de l’homme rencontré se tient rassemblée, dans laquelle il « émerge » au double sens où son essence est rassemblée dans le regard, comme la somme de son existence, et où ce rassemblement et ce tout simple de son essence s’ouvrent dans le regard — mais s’y ouvrent pour laisser en même temps venir en présence dans le hors-retrait le cèlement et l’abîme de son être.

(Regarder, θεάω, signifie : donner à voir le visage, à savoir le visage de l’être de l’étant que ceux qui regardent sont eux-mêmes. Un tel regard est ce qui distingue l’homme, et il ne peut se distinguer par là que parce que ce regard, qui montre l’être lui-même, n’est rien d’humain, mais appartient à l’essence de l’être lui-même en tant qu’apparaître dans le hors-retrait.)

C’est ainsi seulement si nous pensons déjà le décèlement comme trait fondamental de l’« essence » et de l’être chez les Grecs, autrement dit si nous pensons l’άλήθεια ou, à tout le moins, nous efforçons d’en faire l’expérience, que nous sommes en mesure de penser le θεάω, le regard, comme le mode fondamental sur lequel l’apparaître et l’essence se montrent et s’offrent dans le familier. C’est seulement si nous faisons l’expérience de ces rapports d’essence simples que nous comprenons ce qui autrement demeure incompréhensible, à savoir qu’à la fin du monde grec encore, chez Platon, l’être soit pensé à partir de la « vue » et de l’« aspect » à travers lesquels quelque chose se présente, du « visage » qu’« offre » chaque fois une « chose » ou de manière générale un étant. Le « visage » qu’offre une chose, son « aspect », s’appelle είδος ou ίδέα. L’être — ίδέα — est dans tout étant ce qui se montre et ce qui à travers lui nous regarde ce sans quoi l’étant ne pourrait d’aucune manière être saisi en tant qu’étant par l’homme. Ce qui perce du regard dans tout ce qui est familier, l’in-quiétant en tant que ce qui se montre au préalable, est ce qui originairement regarde en un sens insigne : τό θεαον, c’est-à-dire τό θείον ; ce que l’on traduit, sans penser de manière grecque, mais « correctement », par « le divin ». Oί θεοί, ceux que l’on nomme les dieux, qui lancent le regard au c ?ur du familier et partout étendent le regard sur lui, sont oί δαίμονες, ceux qui indiquent et qui font signe.

Puisque le dieu en tant que dieu est celui qui regarde, et regarde en tant qu’il déploie son essence, θεάωη, il est le δαίων - δαίμων qui, regardant, se présente dans le hors-retrait. Celui qui se présente lui-même à travers le regard est le dieu, car le fondement de l’in-quiétant, l’être lui-même, a pour essence d’apparaître en se découvrant. Mais l’in-quiétant apparaît au sein du familier et en tant que celui-ci ; celui qui regarde apparaît sous le visage et l’« aspect » du familier, de l’étant. Celui dont le regard, au sein du familier, laisse venir à lui ce qu’il rencontre, est l’homme (Idem). Aussi le visage du dieu doit-il, au sein du familier, se rassembler dans la sphère essentielle de ce regard humain, et sa figure doit-elle s’y ériger. L’homme lui-même est l’étant dont le trait distinctif est d’être appelé par l’être lui-même de telle sorte que, alors que l’homme se montre, apparaît dans son regard et dans son visage l’inquiétant lui-même, c’est-à-dire le dieu .
Commenter  J’apprécie          00









{* *}