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Thomas Piel (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070732050
288 pages
Gallimard (20/01/2011)
4.75/5   4 notes
Résumé :

" Notre pensée d'aujourd'hui a pour tâche de penser de manière encore plus grecque ce qui fut pensé de manière grecque", confiait Heidegger dans son dialogue avec un interlocuteur japonais. Cet effort livre à l'ensemble de ce cours sur Parménide son itinéraire propre, au fil d'une méditation de la pensée grecque qui fait appel autant à Homère, Hésiode, Pindare, Sophocle et Platon qu'au Po&#x... >Voir plus
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Le regard (θεάω) qui donne à voir le visage de l’être.
L’aspect (le visage) de l’être (είδος).
Le dieu (δαίμων) grec qui, regardant, se présente dans le hors-retrait.
Ce qui perce du regard dans le familier : l’in-quiétant.
L’apparition de l’inquiétant dans le regard de l’homme

« Regarder » se dit en grec θεάω. De façon remarquable — ou devrions-nous nous en émerveiller ? — seule est connue la forme moyenne θεάμου, que l’on traduit par « contempler » et « être spectateur » ; d’où le mot de θέατρον, le lieu du spectacle, le « théâtre ». θεάμου signifie toutefois, pensé de manière grecque : se ménager un regard [8], θεά, un regard au sens du visage qu’offre et que présente quelque chose. θεάω, regarder, ne signifie par conséquent nullement voir au sens d’examiner et de considérer à travers une représentation, par quoi l’homme se tourne vers l’étant en tant qu’« objet » et le saisit. θεάω désigne bien plutôt le regard dans lequel celui qui regarde se montre lui-même, apparaît et « est là » (je souligne). θεάω est le mode fondamental sur lequel celui qui regarde s’offre et se présente (δαίω) lui-même dans le visage de son essence, c’est-à-dire émerge, en tant que non celé, hors du retrait. Le regard, même le regard humain, n’est pas, éprouvé de façon originaire, la saisie de quelque chose, mais l’exposition de celui qui voit, à partir de laquelle un regard qui saisit devient seulement possible. Si l’homme ne fait plus l’expérience du regard qu’à partir de lui-même, et conçoit le regard précisément à partir « de soi » en tant que Je et que sujet, le regard n’est plus alors qu’une activité « subjective » tournée vers des objets. Si l’homme, toutefois, ne fait pas l’expérience de son propre regard, de ce qu’est le regard humain, à travers la « réflexion » sur soi de celui qui se représente lui-même voyant, si bien plutôt, laissant venir à lui sans la moindre réflexivité ce qu’il rencontre, il fait l’expérience du regard à l’aune du regard que lui lance l’homme qui vient à sa rencontre, alors le regard de l’homme rencontré se révèle comme ce en quoi il attend lui-même la venue de l’autre, c’est-à-dire se découvre lui-même comme tel, et est. Le regard qui laisse venir à lui ce qu’il rencontre, le regard humain ainsi éprouvé dévoile l’homme rencontré lui-même dans le fond de son être.

Pour nous autres hommes modernes, et plus largement pour l’humanité postérieure au monde grec, tout est depuis longtemps à ce point renversé que nous comprenons le regard exclusivement comme une représentation humaine dirigée vers l’étant. Par là le regard n’est nullement pris en vue, mais seulement considéré comme une « activité » s’accomplissant elle-même, à savoir comme l’acte de la re-présentation. Re-présenter signifie ici : poser devant soi, mettre devant soi et maîtriser, s’emparer de quelque chose. Les Grecs font l’expérience du regard tout d’abord et proprement comme du mode sur lequel l’homme, avec les autres étants eux-mêmes, mais en tant qu’homme, émerge et vient en présence dans son être même . En termes modernes, et donc insuffisants, mais pour nous sans doute plus intelligibles, nous pouvons dire de manière plus concise : le regard, δέα, n’est pas l’acte de regarder en tant qu’activité ou acte du « sujet », mais le visage en tant qu’émergence de l’« objet » qui vient à notre rencontre. Regarder, c’est se montrer, épiphanie dans laquelle l’essence de l’homme rencontré se tient rassemblée, dans laquelle il « émerge » au double sens où son essence est rassemblée dans le regard, comme la somme de son existence, et où ce rassemblement et ce tout simple de son essence s’ouvrent dans le regard — mais s’y ouvrent pour laisser en même temps venir en présence dans le hors-retrait le cèlement et l’abîme de son être.

(Regarder, θεάω, signifie : donner à voir le visage, à savoir le visage de l’être de l’étant que ceux qui regardent sont eux-mêmes. Un tel regard est ce qui distingue l’homme, et il ne peut se distinguer par là que parce que ce regard, qui montre l’être lui-même, n’est rien d’humain, mais appartient à l’essence de l’être lui-même en tant qu’apparaître dans le hors-retrait.)

C’est ainsi seulement si nous pensons déjà le décèlement comme trait fondamental de l’« essence » et de l’être chez les Grecs, autrement dit si nous pensons l’άλήθεια ou, à tout le moins, nous efforçons d’en faire l’expérience, que nous sommes en mesure de penser le θεάω, le regard, comme le mode fondamental sur lequel l’apparaître et l’essence se montrent et s’offrent dans le familier. C’est seulement si nous faisons l’expérience de ces rapports d’essence simples que nous comprenons ce qui autrement demeure incompréhensible, à savoir qu’à la fin du monde grec encore, chez Platon, l’être soit pensé à partir de la « vue » et de l’« aspect » à travers lesquels quelque chose se présente, du « visage » qu’« offre » chaque fois une « chose » ou de manière générale un étant. Le « visage » qu’offre une chose, son « aspect », s’appelle είδος ou ίδέα. L’être — ίδέα — est dans tout étant ce qui se montre et ce qui à travers lui nous regarde ce sans quoi l’étant ne pourrait d’aucune manière être saisi en tant qu’étant par l’homme. Ce qui perce du regard dans tout ce qui est familier, l’in-quiétant en tant que ce qui se montre au préalable, est ce qui originairement regarde en un sens insigne : τό θεαον, c’est-à-dire τό θείον ; ce que l’on traduit, sans penser de manière grecque, mais « correctement », par « le divin ». Oί θεοί, ceux que l’on nomme les dieux, qui lancent le regard au c ?ur du familier et partout étendent le regard sur lui, sont oί δαίμονες, ceux qui indiquent et qui font signe.

Puisque le dieu en tant que dieu est celui qui regarde, et regarde en tant qu’il déploie son essence, θεάωη, il est le δαίων - δαίμων qui, regardant, se présente dans le hors-retrait. Celui qui se présente lui-même à travers le regard est le dieu, car le fondement de l’in-quiétant, l’être lui-même, a pour essence d’apparaître en se découvrant. Mais l’in-quiétant apparaît au sein du familier et en tant que celui-ci ; celui qui regarde apparaît sous le visage et l’« aspect » du familier, de l’étant. Celui dont le regard, au sein du familier, laisse venir à lui ce qu’il rencontre, est l’homme (Idem). Aussi le visage du dieu doit-il, au sein du familier, se rassembler dans la sphère essentielle de ce regard humain, et sa figure doit-elle s’y ériger. L’homme lui-même est l’étant dont le trait distinctif est d’être appelé par l’être lui-même de telle sorte que, alors que l’homme se montre, apparaît dans son regard et dans son visage l’inquiétant lui-même, c’est-à-dire le dieu .
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[...] Nous qui venons si tard, toutefois, ne pouvons faire l’expérience de l’essence des δαίμονες, en tant que ceux qui paraissent au coeur du familier, se présentent dans l’étant et, ainsi, font signe de l’étant vers l’être , qu’à la seule condition que nous parvenions à un rapport à l’άλήθεια — ou du moins à pressentir celle-ci — d’une manière qui nous donne à percevoir la façon dont le décèlement et l’émergence régissent de part en part l’essence de l’être dans son émergence initiale chez les Grecs. Dans la mesure où l’être se déploie depuis l’άλήθεια, lui appartient l’émergence qui se décèle. Nous nommons celle-ci le s’éclaircir et l’éclaircie (cf. Être et temps [note ci-contre]). Ce nom provient lui-même d’une expérience initiale de la pensée, dans la contrainte qu’elle éprouve lorsqu’elle s’efforce de penser et ainsi seulement de saisir l’άλήθεια dans sa « vérité » propre (je souligne). Ce nom différent que nous lui donnons, qui vient comme de lui-même à la parole, ne consiste nullement en une simple substitution de termes pour une chose qui, par ailleurs, demeurerait pensée de la même manière. Ce qui est éclairci se manifeste originairement dans la transparence du diaphane, c’est-à-dire comme le clair et le lumineux. C’est seulement en tant que l’άλήθεια déploie son essence qu’elle porte l’éclaircie au jour dans le hors-retrait. Parce que dans l’essence celée de l’άλήθεια advient l’éclaircie, nous faisons l’expérience de l’émergence et de la venue en présence — c’est-à-dire de l’être — à la « lumière » du clair et du « lumineux ». Se déceler dans la lumière, c’est briller. Le soleil brille. Ce qui brille et paraît est ce qui se montre au regard qui envisage . Ce qui apparaît au regard qui envisage est le visage [18] qui se manifeste à l’homme et s’adresse à lui, la vue . Envisager , ce que l’homme accomplit relativement à la vue qui apparaît, est déjà la réponse à la vue originelle, qui seule élève à l’être le regard humain qui envisage. C’est ainsi en vertu du règne de 1’άλήθεια et de lui seul que le regard est le mode initial de l’émergence dans la lumière et de la venue au jour, c’est-à-dire de l’éclat du paraître dans le hors-retrait. Nous devons comprendre ici le regard de façon originaire et grecque, à l’aune du regard à travers lequel un homme qui vient à notre rencontre, se rassemblant dans cette émergence qui s’offre d’elle-même au jour, sans réserve et sans reste, expose son être et le laisse « émerger ». Ce regard qui rend seul possible toute venue en présence est par conséquent plus originaire que la présence des choses (je souligne), car le regard qui se décèle, conformément à l’essence pleine du décèlement, cèle et recèle en même temps en lui du non-celé. La chose en revanche, dépourvue de regard, n’apparaît qu’en tant qu’elle se tient dans le hors-retrait, sans rien avoir elle-même à déceler ni par conséquent à celer. [...]
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« Athéna, Aphrodite, Artémis, Déméter apparaissent comme des "personnes divines" bien caractérisées. La déesse "Vérité" au contraire est on ne peut plus "abstraite". On pourrait même juger qu’il n’y va nullement ici d’une "expérience mythique" de cette déesse, mais que le penseur "personnifie" délibérément le concept général de "vérité" en lui donnant la figure indéterminée d’une déesse. Il n’est du reste pas rare que nous rencontrions ce procédé consistant à "hypostasier" des concepts généraux sous la forme de figures divines, en particulier dans l’Antiquité tardive. »
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Le poème d’un poète, le traité d’un penseur se tiennent dans leur parole propre, simple, unique. Ils nous contraignent à toujours écouter à nouveau cette parole comme si nous l’entendions pour la première fois. Ces prémices de la parole nous font chaque fois passer sur une rive nouvelle. Ce que nous nommons traduction et paraphrase n’est jamais que la conséquence de la traduction de tout notre être dans le domaine d’une vérité métamorphosée. Ce n’est que quand nous sommes déjà livrés en propre à cette traduction, que nous sommes dans le souci de la parole.
p.128
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« Les dieux sont ceux qui regardent vers l’intérieur, dans l’éclaircie de ce qui vient en présence ».
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Vidéo de Martin Heidegger
POÉSIE-PENSÉE – La Philosophie face à la Poésie selon HEIDEGGER (France Culture, 1964) Un extrait d’un hommage radiophonique au philosophe, par René Farabet, diffusé le 25 septembre 1964 sur France Culture. Interventions : Beda Allemann, Michel Deguy et René Char. Lecteurs : Henri Rollan et Jean Topart. Mise en ligne par Arthur Yasmine, poète vivant, dans l’unique objet de perpétuer la Poésie sur tous les fronts.
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