« Les belges reconnaissants », voilà un titre bien curieux pour un polar rural, dont l’action se passe dans la garrigue héraultaise.
Au premier abord, le petit village de Castellac n’a rien à voir avec la Belgique. Le maire du village, Ludovic Galliéni, héritier d’une longue lignée d’édiles, est une sorte de potentat local, dont le pouvoir est basé sur le clientélisme, le népotisme et, si nécessaire, dans les cas les plus extrêmes l’intimidation, voire la violence. Il est devenu très riche dans les années 40, sans que l’origine de sa fortune soit clairement établie: marché noir, spoliation de biens juifs??? Il vient de remporter une large victoire aux élections municipales, contre Marianne Grangé, jeune journaliste écologiste, qu’il a humiliée, autant par le verdict des urnes que par les propos tenus en public :
« -Mademoiselle Grangé, que cet épisode vous serve de leçon ! Reprit le maire. Vous et vos amis n’avez rien à faire à la mairie de Castellac, ne venez pas vous mêler de nos affaires qui ne vous regardent pas. On vous accepte au village, mais restez tranquilles ! Et maintenant mes amis, je vous invite à trinquer, à votre santé et à la santé de Castellac ! Et vous pouvez vous joindre à nous, Mademoiselle Grangé, on n’est pas rancuniers à Castellac ! »
A la fin de cette soirée électorale, alors qu’elle rentre chez elle, Marianne est agressée et violée par des séides du maire. Elle décide de ne pas porter plainte, sachant très bien avec quel peu d’empressement son affaire serait traitée par les gendarmes locaux. Elle déclare à Fred, son ami, qu’elle est sur le point de révéler un scandale qui va faire tomber Galliéni.
Quelque mois plus tard, le cadavre de Galliéni est découvert dans une combe par un berger. Il est entièrement nu, recroquevillé sur lui même, le dos lacéré et un collier de chien autour du cou. L’autopsie révèle que la nuit de sa mort a été l’occasion d’ébats sexuels débridés, qu’il a absorbé du GHB, et de la digitoxine, qui a causé sa mort. Bien sûr, Marianne est la cible de la vindicte villageoise, sa récente défaite aux élections lui donnant un mobile évident. Mais cette piste n’est pas exploitée, Galliéni et sa famille, malgré leur pouvoir et leur argent, ne font pas l’unanimité, et le pouvoir suscite bien souvent quelques inimitiés.
« Des tas de gens détestaient Ludovic et les Galliéni mais de là à vouloir tuer… Vous savez, l’histoire de nos villages est truffée de vieilles haines entre familles dont bien souvent plus personne ne connaît l’origine. On sait que les Untel et les Machin s’en veulent depuis toujours alors, quand on naît Untel ou Machin, on perpétue la « tradition », on ne se pose pas plus de questions que ça. L’entretien des vieilles rancoeurs est une activité qui prend beaucoup de temps par ici, c’est presque un jeu, ça occupe les esprits et les conversations. »
La Lieutenante Pénélope Cissé vient d’être mutée à Sète pour raisons disciplinaires (on n’en saura pas plus). A Castellac, tout ce qui vient de l’extérieur (du village, du canton ou du département) est suspect et pour le dire carrément, loin d’être bienvenu. Quelle riche idée a eu l’auteure de confier l’enquête à la sculpturale Pénélope, étrangère, femme, et noire de surcroît. Mais cette « princesse africaine » ne se laisse pas facilement démonter, et malgré des méthodes parfois un peu limite, elle a un instinct très sûr.
« Il y a quelque chose d’autre, Commandant… peut-être quelque chose de plus enfoui… une fissure quelque part, qui remonterait loin, très loin… le mur s’est écroulé mais la faille était ancienne… je suis en ce moment au milieu des décombres, je fouille dans l’histoire du mur… je ne suis pas loin de comprendre… murmurait Pénélope, perdue dans ses pensées. »
En plus de Pénélope, on trouve une galerie de personnages très bien dessinés. Le scénario est rigoureux et l’intrigue très bien ficelée. Il nous faudra attendre le milieu du roman pour commencer à entendre parler des Belges, mais je ne vous en dirai pas plus, sinon que ce roman nous réserve quelques rebondissements du meilleur cru.
Ce roman n’a rien d’une pagnolade, même si l’on retrouve ici et là quelques pointes d’humour, pour que le récit ne soit pas trop noir. La scène que joue Pénélope, avec les osselets de l’ancêtre, au dépens de son crédule adjoint Dujardin, est particulièrement réjouissante:
« – Sé’ieux Toubab’! Toi pas te moquer! C’est les os de la main de mon ancêt’e, bouffé par un c’oc’odile en che’chant la vér’ité! Y sont magiques! Y vont pa’ler, c’est sû’! Dit-elle en lançant les osselets d’un air inspiré. »
Martine Nougué a l’œil exercé dans l’observation de ses contemporains et sait trouver les mots pour les décrire. A ce propos, tout le roman est d’une réelle justesse, et j’ai eu l’impression qu’il se déroulait juste à ma porte. Dans le village où je vis maintenant, comme dans beaucoup d’autres dans cette région ou ailleurs, le « t’es pas d’ici » est monnaie courante et, j’en parle en connaissance de cause, il faut au moins une génération, si ce n’est deux; pour être accepté et intégré dans le collectif de la communauté.
L’auteure donne une image vraie de ces villages, et son mérite n’est pas mince d’avoir su éviter l’écueil de la caricature. C’est également l’occasion de pointer du doigt la bêtise et le racisme ordinaires. Il est d’ailleurs piquant de constater, en ces temps ou un nombre grandissant de nos concitoyens est démangé par le prurit identitaire et la tentation du repli sur soi, que la petite commune de Montbazin (alias Castellac) lors de la dernière guerre, a accueilli 340 réfugiés Belges, soit plus de 30% de sa population!
A ce propos je vous invite à visiter la page : http://www.memoiredemontbazin.fr/des-hommes/les-belges-reconnaissants/.
Une agréable découverte que ce roman, un très bon moment de lecture.
Et, si vous me permettez, encore un mot à l’auteure: Pénélope, reviens!!!
Éditions du Caïman, 2015
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