5. « Leur [des adolescents] souffrance existentielle, indicible, indéfinie, abstraite, mêlant difficultés familiales et peurs sociales, est détournée par la marque destinée à focaliser l'attention du patient et de ses proches. L'effet apaisant est à rapprocher de l'extériorisation des angoisses, des phobies, des obsessions par la parole ou l'écriture. Les modes opératoires sont l'entaille (avec lames de rasoir, morceaux de verre...) et l'automutilation. Effectuées en solitaire et chaque fois que l'individu est déstabilisé, elles agissent comme un purgatif, un système d'autorégulation, et permettent de continuer à affronter l'existence. Au fil du temps, elles deviennent addictives, au même titre que l'alcool ou les psychotropes : David Le Breton qualifie cette méthode d'adaptation au mal de vivre de "cérémonie secrète accomplie comme une liturgie intime". L'adolescent est, au sens propre comme au sens figuré, un écorché vif. » (p. 145)
On s'étonnera peut-être que cette étude soit peu prolixe sur la question des idéologies : c'est que, pour l'homme politique, la carrière prévaut sur les idées.. Celles-ci ne sont, en réalité, qu'un affichage nécessaire, un moyen pour atteindre un poste, un rôle qui doit refléter au mieux "l'air du temps". Le dire n'est pas faire preuve de cynisme, mais de lucidité. L'objectif premier est de conquérir le pouvoir, puis de le conserver. Sinon, comment comprendre que le mauvais résultat des Républicains aux élections européennes de juin 2019 ait conduit des maires à quitter leur parti, moins d'un an avant les municipales de 2020 ? [...] Comment comprendre que François Mitterrand, foncièrement homme de droite, par sa famille, sa formation, ses adhésion partisanes de jeunesse, parvienne en 1981 à incarner la gauche et le progrès social ?
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Le paradoxe est le suivant : les mouvements rock, hippie et punk, tout en instaurant des codes esthétiques contestataires, ont créé de nouveaux conformismes, l'adoption et le respect d'un uniforme étant par excellence une attitude docile à l'égard d'une norme établie. Le désir couplé pour la jeunesse de se différencier des parents et de prendre ses distances avec une société où elle ne se sent pas représentée par les instances publiques, en particulier politiques, aboutit à une nouvelle dépendance, cette fois aux pairs.
2. « Nous avons vu plus haut que le sens commun a une tendance naturelle à associer tatouage et délinquance. C'est toujours ce lien qui est à l’œuvre dans le monde professionnel où, consciemment ou pas, le recrutement subit l'influence des stéréotypes et des préjugés selon lesquels tatouages et piercings signifient indiscipline. Rhéa Jabbour aborde la question sous l'angle du "lookisme" […] : "Le lookisme désigne la supposition que le physique d'un individu est un indicateur de sa valeur." La lutte contre les discriminations en relation avec l'apparence affronte le regard social qui voit la réalité à travers le filtre intuitif et inavouable de ce qu'il estime convenable ou pas.
Au-delà de leurs différences, voire de leur opposition, tatoués, scarifiés, percés, forment une grande fédération de la liberté et de la colère. Ils conduisent une courageuse insurrection qui, bien que silencieuse et malgré l'évolution des mœurs, est toujours difficile à entendre pour la société. » (p. 71)
1. « La marque corporelle des contre-cultures, finalement, est une des composantes de l'éventail d'identification avec, notamment, un style musical, un code vestimentaire, un type de langage, etc. Ces pratiques canalisent et purgent les revendications, les colères, la révolte. Elles contribuent à équilibrer et apaiser les sociétés démocratiques où, comme l'écrit Georges Bataille, "la transgression organisée forme avec l'interdit un ensemble qui définit la vie sociale". En ce qui concerne les seules marques corporelles, on peut distinguer deux tendances concomitantes, mais inverses : l'une, d'appartenance au groupe, donc orientée vers l'intérieur, l'entre-soi ; l'autre, d'opposition à la société, tournée vers l'extérieur, le contre, l'altérité. Elles répondent à deux impératifs : s'assembler et mener le combat de l'émancipation. » (p. 59)
On pourrait presque affirmer que le romancier et l'homme politique exercent la même profession : ils défendent tous les deux une conception de la société, fabriquent de l'utopie, s'adressent aux foules (lecteurs d'un côté, électeurs de l'autre) et, ouvriers de la parole, cherchent à convaincre par les mots.
4. « Dans le monde occidental actuel, il n'est pas excessif d'admettre que la relation entre tatoué et tatoueur dépasse, là aussi, le commerce habituel entre deux personnes. Le rapport se situe souvent à un niveau beaucoup plus profond qu'il n'y paraît à première vue, le mental semblant intégrer la connexion physique née entre celui qui offre sa peau, membrane protectrice des secrets, et celui qui détient le pouvoir de franchir le bouclier de l'intimité, de percer les mystères dissimulés. À l'instar du prêtre, instruit d'un savoir théologique ignoré par le fidèle, le tatoueur, muni de ses instruments pénétrants, occupe une position de médiateur entre la réalité prosaïque et un monde idéal vers lequel il entraîne son patient : c'est "un personnage fascinant, à la fois attirant […] et inquiétant." [F. Borel] » (p. 117)
Pourquoi tant d'hommes et de femmes se font-ils graver la peau depuis des millénaires et sous toutes les latitudes ? Que veulent-ils exprimer en s'adonnant à cette pratique ? Quelles voix font-ils entendre à travers l'infinie variété des expressions, dessins et motifs utilisés ? (11)
3. « Le désir premier est de flatter le moi dans le regard admiratif de l'autre et, pour provoquer cela, il faut donner à voir qui l'on est (l'identité réelle) ou qui l'on souhaiterait être (l'identité fantasmée). L'objectif est d'être prioritairement, selon l'expression de Jean-Paul Sartre, un "corps-pour-autrui". La marque corporelle devient, dans cette configuration, une déclaration de guerre contre l'anonymat. Elle permet de se distinguer de la masse, de manifester sa singularité, de se soumettre à l'une des valeurs déterminantes du monde contemporain qu'est le droit à la différence : au sens propre, il s'agit de se dé-marquer. » (p. 86)
Ernest Hamel parle quant à lui d’un “langage emphatique et banal”.
Flaubert ironise sur l’emploi des images toutes faites lors de sa description de la prise de parole du conseiller de préfecture, dans la célèbre scène des comices agricoles de Madame Bovary : “Nos ports sont pleins, la confiance renaît, et enfin la France respire !”
Dans sa prise de parole qui conclut Son Excellence Eugène Rougon, le personnage principal, revenu en grâce, utilise les « images impressionnantes » préconisées par Gustave Le Bon […].
p. 40-41