Maryvonne Noblet

L'habitude engendre la monotonie, et la monotonie est rarement facteur d'épanouissement.

Il ne faut surtout pas avoir honte de ses larmes, poursuit la dame en noir, c'est une erreur de penser que les larmes ne sont qu'un luxe des faibles. Elles soulagent, adoucissent. Elles reconfortent. Et la solution ne peut venir que d'un esprit apaisé.

A présent que je suis devenu un vieux chien et qu'il m'arrive à moi de baver dans mes moustaches, je dois avouer que toutes ses balivernes glissent sur mes poils défraîchis, comme pluie de printemps sur toise de mouton.(....)
Pour la première fois de mon existence, je serai responsable de l'incommensurable chagrin qui inondera le visage adoré de ma petite mère.
A ceux qui s' étonneront de ce désespoir anticipé, je ne dirai que ces quelques mots :
Je ne vivais que pour elle.
Elle ne voyait que par moi.

Pauvre moi, qui n'ai pas encore compris que la compassion exaspère le malheur, et que la pitié d'autrui décuple celle que chacun de nous éprouve pour soi-même

Quelques idées de Lucien, mais rarement les bonnes, et dans tous les cas, aussi plates que le béret qu'il persiste à visser sur son crâne, y compris durant la belle saison, ou ce qui en tient lieu, du côté de ce qu'il est convenu d'appeler, "les Côtes de la Manche".
Avec ça, plus obstiné qu'un taon par ciel d'orage.
A preuve : l'acharnement qu'il met à exiger, au mépris du plus élémentaire bon sens -mais peut-on demander à un imbécile d'avoir du bon sens- que je demeure toute mes nuits au fond de ma niche, une chaîne de bagnard fixée autour du cou.
Oh la petite avait bien essayé de lutter, surtout dans les débuts, mais, le moyen de faire comprendre à un homo erectus, type Lucien, que la valeur du mot liberté, les chiens aussi sont capables d'en exprimer toute la poésie.

Si le poète avait vécu, nul doute qu'il se fût satisfait d'avoir été si bien entendu. Je m'enivrais de tout et de rien : d'air, d'espace, de parfums, de solitude, de liberté. Je finissais par m'enivrer de moi-même.

Au milieu de sa détresse, lui était revenue une petite phrase que l'oncle Mathieux avait coutume de leur seriner, à elle et à Solange, et pas seulement quand il était trop penché sur la bouteille, "mes pauvres petites, la vie est une vaste blague. Celui qui a compris cela, a tout compris".
Une vaste blague avait dit tonton Mathieux.
Oui, la vie est une vaste blague. L'embêtetant était qu'il fallait se la coltiner avec tous les jours.

Nous nous contentâmes de marcher en prenant le temps, le temps de regarder le ciel clair illuminer la montagne, le temps de se laisser bercer par le bruissement léger des sapins, le temps de renifler l'écorce d'un arbre ou le doux renflement d'un bourgeon, le temps encore de lire dans les yeux de l'autre le reflet de son propre émerveillement.

Comme il est à plaindre celui qui n'a jamais connu la douceur d'un matin de printemps en notre lumineux pays de l'Anjou ! Aujourd'hui encore je ne suis point rassasié de ce bonheur là !