Il n'y a pas que Morrison. Il convient que l'on s'intéresse également aux trois autres membres du groupe. Car seul, Mr Mojo ne saurait véritablement se dresser ou tenir debout. Je ne compte pas redire ici tout ce qui a été dit au sujet de Morrison. Les biographies du Roi Lézard abondent, et souvent se répètent. Il sera bien entendu question de Morrison dans ce livre, mais sa personnalité - son personnage - sera quelque peu estompée. Il ne s'agit pas ici d'un livre écrit par un fan à l'usage des fans.
Mais laissons-nous aller à l'écoute de l'incroyable morceau. Un silence, le tonnerre et la pluie. Et, à 4'45", la batterie de reprendre. Le diamant de la platine se rapproche du cœur du vinyle et, pour tout dire, de l'horizon mythique des Doors.
A l'écoute de morceaux comme "End of the night","The End" (sur le premier album,sorti en 1967) ou lorsqu'on se laisse happer par "When the Music 's over" (deuxième album, "Strange Days"),le moins que l'on puisse dire,c'est que la fin est programmée dès le début avec les Doors . Elle fait parte intégrante de leur poétique . A mieux dire,de leur emprunte musicale. Tant et si bien que "Light my fire",un des premiers tubes du groupe-un des plus connus également-évoquait déjà un "funeral pyre",un bucher final ou plutôt funéraire.
L'anagramme sur le nom de Morrison le rend si je puis dire consubstantiel aux substances. Cette assimilation au mojo fait de lui une sorte de bluesman dionysiaque sinon priapique. L.A Woman, à travers sa chanson éponyme vise à se ressourcer dans le plus blues des blues .
"Into your blue, blue blues" y est il répété . Et l'invocation au Saint Mojo, et sa personnification mème, fait du blues une énergie ,une intensité pure et incontrôlable.
Le piano électrique de Manzarek prend des tonalités classiques quand il s'aventure par exemple du coté de chez Chopin,rendant le panel des influences plus vastes et la musique des Doors d'autant plus riche et profonde.
Mais avec Ray Manzarek aux commandes sur des morceaux comme "Light my fire", on a surtout l'impression d' un Jean Sebastien Bach sous acides,dûment nourri de John Coltrane.
L.A Woman est la vision de Los Angeles que proposent les Doors en tant que "microcosme de l' Amérique". De mème Morrisson écrit "Lamerica" sans apostrophe dans ses carnets,comme si la ville, dont les initiales apparaissent ici comme en surimpression,était une sorte de modèle réduit de l' Amérique,l'acronyme ou le précipité de l’Amérique comme lieu terrible et maudit.
Il est significatif qu'Agnès Varda -Morrison la rencontrera à Paris-emploie "The changeling" dans son grand film sur l'errance "Sans toit ni loi"(1985). Car on assiste en définitive avec "The changeling" aux atermoiements d'un bluesman en devenir,qui bourlingue d'un bout à l'autre de la ville,et qui erre,tantôt riche,tantôt fauché.